«Il y a des choses à dire, il y a des décisions à prendre.» Tariq Ramadan s'était fait rare depuis sa renonciation à se rendre aux Etats-Unis où il aurait dû occuper une chaire dans l'université catholique de Notre Dame dans l'Indiana. Une renonciation forcée: les autorités d'immigration ne lui délivraient pas de visa. Il revient aujourd'hui sur le devant de la scène avec un appel publié dans plusieurs grands journaux occidentaux et orientaux sur un thème qui lui a déjà valu de prendre quelques coups: les châtiments corporels dans l'islam.

Le ton est ferme. L'intellectuel musulman refuse notamment de «légitimer (le) silence gêné, complice ou coupable (des musulmans) lorsque des femmes et des hommes sont châtiés, lapidés ou exécutés au nom d'une application formaliste et instrumentalisée des sources scripturaires de l'islam». S'il est clair qu'il condamne personnellement la lapidation, la peine de mort et les autres châtiments corporels, il se contente de réclamer un moratoire. En termes nets: «Il faut que cessent immédiatement toutes les injustices légalisées faites au nom de l'islam.» Mais sans préjuger de l'issue du débat que ce moratoire doit permettre dans le monde musulman.

En soit, la suggestion n'est pas nouvelle. Tariq Ramadan l'avait formulée en novembre 2003, au cours d'un débat télévisé avec Nicolas Sarkozy. Interprétée par beaucoup comme une dérobade, elle lui avait valu une pluie de critiques cinglantes. En l'explicitant aujourd'hui, il ne rassemble pas davantage. «Il n'y a rien de vraiment nouveau dans ce texte, affirme Caroline Fourest, auteure de Frère Tariq un livre critique à son égard. Il cherche surtout à revenir dans le débat public dont il avait dû s'effacer ces derniers temps.» Le lecteur comprend certes que Tariq Ramadan réprouve la mise à mort et la lapidation «mais je ne pense pas que cela impressionne beaucoup les religieux fondamentalistes qui l'appliquent ou militent pour son application. En revanche, pour les musulmans européens, ce que dit avant tout cet appel, ce n'est pas que la lapidation est incompatible avec la dignité humaine. Cela, ils le savent déjà. Mais qu'on peut se mettre autour d'une table et discuter de son application.»

Ahmed Benani, politologue et spécialiste du monde arabo-musulman, nuance. «Pour 80% de musulmans vivant en Europe, ce débat n'a pas lieu d'être car ils vivent déjà un islam privatisé dans lequel ces châtiments n'ont pas leur place. Mais pour la frange qui est tentée par le fondamentalisme, la démarche de Tariq Ramadan a une vertu pédagogique. Il se situe dans une logique exclusivement musulmane et garde le Coran comme unique référence. Mais en proposant un moratoire, il n'en fait pas moins un pas vers la laïcité. Je dirais qu'il appelle l'Etat, qui n'a rien de céleste, à ne légiférer que dans le terrestre. En somme aucune peine corporelle ne doit être prononcée et encore moins exécutée au nom de l'islam en ce bas monde. Le moratoire est un compromis acceptable; l'enfer attendra. L'essentiel est de donner une idée moderne de l'islam. Modernité que revendique exclusivement notre télé-prédicateur.»

Tariq Ramadan, de son côté, se défend de viser avant tout les musulmans européens. «A eux, je dis surtout qu'ils ont le devoir de refuser ce qui se fait en leur nom dans le monde musulman. Mais ma démarche vise à faire naître le débat dans ce dernier. J'y ai développé de nombreux contacts et j'agis en relation avec des religieux qui approuvent ma démarche. Le débat ne fait que commencer et il rebondira dans les jours qui viennent. Personnellement, je suis opposé à ces châtiments. Mais je ne représente qu'une voix dans ce débat.»

Chez les musulmans de Suisse, la démarche est diversement appréciée. Si Mohammed Karmous, président le la Ligue des musulmans de Suisse, estime pouvoir s'associer à la demande de moratoire, Hafid Ouardiri, porte-parole de la mosquée de Genève, est plus réservé. «Il n'y a rien de nouveau dans cet appel, estime-t-il. Nous discutons de ces problèmes dans notre communauté et nous continuerons à en discuter. On y réfléchit d'ailleurs depuis le début de l'islam.»