Dans tous les secteurs, certains se distinguent par leur faculté d’invention. Comment être créatif? Des personnalités actives dans le domaine de l’art, des nouvelles technologies et de l’entreprise nous répondent
Ils sont professeurs, directeurs de festival, à la tête d’une école d’art ou d’une entreprise. Leur point commun: la créativité fait partie de leur quotidien. Cette faculté d’invention et d’imagination, ils l’observent, l’encouragent, la vivent. Ils en parleront lors d’un forum sur la créativité suisse organisé par «Le Temps» et la Haute Ecole d’art et de design (HEAD) de Genève le 6 décembre.
Mais peut-on vraiment généraliser la créativité, ne dépend-elle pas d’un domaine? «Je mettrais quand même l’art à part, répond Jean-Pierre Greff, directeur de la HEAD. Il s’agit d’actes de création en tant que tels. Mais il existe des attitudes créatives dans tous les secteurs et nous en avons besoin partout. Même dans les domaines les plus rationnels, dans les sciences par exemple, mobiliser l’imaginaire contribue à la découverte.»
«Ne pas se restreindre à son propre domaine»
Si pour Sébastien Olesen, fondateur du déjanté PALP Festival en Valais, la créativité est bien spécifique à chaque milieu, être créatif se résume quand même à une attitude: «prendre des risques, savoir créer la surprise et… ne pas se restreindre à son propre domaine». Le Valaisan en sait quelque chose: pour que son festival se démarque, il a notamment créé le concept d’électroclette: écouter de l’électro tout en mangeant de la raclette.
Pour mettre au point son concept et son festival, Sébastien Olesen a fait appel à des ethnologues, des historiens, des acteurs du monde économique… «Comprendre la perception de milieux différents du sien permet de créer du nouveau», souligne-t-il.
La transdisciplinarité, une donnée indispensable pour faire émerger la nouveauté, défend aussi Abir Oreibi, directrice des conférences Lift dédiées à l’innovation. «Nous rassemblons des profils qui viennent de secteurs très différents. C’est dans l’ADN de notre entreprise de faire en sorte qu’un chef d’entreprise soit assis à côté d’un étudiant. C’est dans le mélange que l’innovation se produit.»
A la portée de tous
Et la créativité se travaille. Pascal Meyer, fondateur et directeur du site communautaire de vente en ligne QoQa, en est convaincu: «Je pense qu’on peut tous devenir très créatifs!» Ses méthodes: des réunions quotidiennes pour maintenir les échanges entre les collaborateurs et un rendez-vous toutes les deux semaines qui permet à chacun de s’exprimer sur ce qu’il a aimé et moins aimé lors des semaines qui ont précédé. «Nous encourageons chacun à être participatif, à trouver des solutions face aux problèmes rencontrés.»
L’atmosphère est aussi un élément clé pour stimuler la créativité. Abir Oreibi l’encourage en «donnant de l’autonomie, de la confiance et de l’écoute» à son équipe. Car pour elle, le dénominateur commun entre tous les créatifs «se trouve peut-être dans l’existence d’un espace sécurisé et libre qui permette l’épanouissement et l’expression de l’imagination».
Même constat dans une école d’art comme la HEAD. Le cadre est primordial pour stimuler les élèves, rappelle Jean-Pierre Greff. «Le contact avec d’autres personnes créatives et avec des professeurs qui partagent leur expérience permet de créer un environnement qui aide à penser le monde.»
Ne pas craindre l’erreur
Si certains facteurs stimulent la créativité, d’autres contribueraient à l’inhiber. «Pour beaucoup, la peur de déplaire est un frein. Mais il y aura toujours des gens pour penser qu’une idée nouvelle est mauvaise», estime Sébastien Olesen.
La crainte d’un faux pas pèserait aussi. «Dans trop d’entreprises, se tromper, c’est grave. Mais on apprend tellement!» s’anime Pascal Meyer. Pour le directeur de QoQa, mieux vaut ne pas être trop raisonnable. «L’an dernier, j’ai eu l’idée d’acquérir un Picasso avec ma communauté en ligne. Beaucoup m’ont dit que ça ne pouvait pas marcher. Si j’avais été vraiment rationnel, je ne l’aurais pas fait. Il faut revenir aux contraintes mais plus tard, sinon on se bloque.»
La créativité n’est cependant pas une affaire solitaire. Yves Pigneur est professeur à la Faculté des hautes études commerciales de l’Université de Lausanne et cocréateur du Business Model Canvas, un outil utilisé dans le monde entier pour décrire le modèle économique d’une entreprise. «L’échange est générateur d’idées, même en binôme. La créativité vient du dialogue avec des gens fiables.»
Bien plus que des idées
Un créatif doit aussi savoir remettre en question ses idées. «Il faut toujours envisager plusieurs alternatives, recommande Yves Pigneur. La créativité, ce n’est pas juste trouver une idée, l’enjeu est de la transformer en un vrai projet qui ait un impact.»
Passer du concept au concret, une étape délicate, juge aussi Sébastien Olesen. «La recherche de soutiens et de moyens est essentielle pour mener un projet à bien. Beaucoup de gens ont cette créativité en eux, mais elle se révèle ensuite difficile à concrétiser.»
A l’Université, Yves Pigneur guide de nombreux étudiants chargés d’imaginer et de présenter des projets innovants. Il rappelle une dimension qui lui paraît primordiale: «Il ne faut pas oublier de s’amuser dans cet exercice. Le plaisir est une composante essentielle de la créativité.»
Imagine, le forum de la créativité suisse proposé par «Le Temps» et la HEAD-Genève, jeudi 6 décembre, campus HEAD-Genève, 7 av.de Châtelaine, labs.letemps.ch/evenements