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Laurent Geslin, jour et nuit dehors pour immortaliser la beauté animale

Depuis onze ans, le photographe animalier se terre en montagne pour saisir l’image du lynx, animal solitaire et fuyant. Après avoir publié un livre, il tourne un film

Laurent Geslin est l’un des rares photographes animaliers à vivre de son art. Ici en «habit de travail» en dessus de Gorgier le 12 sept. 2018. — © Thierry Porchet
Laurent Geslin est l’un des rares photographes animaliers à vivre de son art. Ici en «habit de travail» en dessus de Gorgier le 12 sept. 2018. — © Thierry Porchet

Gamin, chez sa grand-mère en Bretagne, il attendait que la maisonnée soit endormie pour s’échapper par le vasistas. Direction: les champs, la forêt et les étoiles. Il marchait une bonne heure pour débusquer les animaux de nuit et humer les vents. Avoir peur aussi: «Une fois, trois cerfs se sont mis à bramer tout près de moi, je ne les voyais pas mais j’entendais leurs sabots piétiner le sol, de trouille je me suis blotti contre un arbre.»

Quarante ans plus tard, Laurent Geslin poursuit ses escapades nocturnes. Non plus en Bretagne mais dans la chaîne du Jura. Et ses fugues durent parfois des semaines. En 2015, il a ainsi passé 119 jours et nuits dehors. Il ne s’agit plus d’intrépides pérégrinations mais d’une quête, une obsession presque: voir le lynx boréal et le prendre en photo. Cela fait sept ans qu’il planque, tel un paparazzi tentant de saisir l’intimité d’une star. Là s’arrête la comparaison.

La logistique, le repérage, puis la patience

Laurent Geslin est un photographe animalier, l’un des rares à vivre de son art. Il faut en effet être artiste pour capter de nuit l’image sublime d’un félin qui à pas feutrés glisse sur une crête tandis qu’au loin brillent les lumières de la ville, Yverdon en l’occurrence. Image également d’un contraste: le lynx est solitaire, tapi, craintif, aux aguets, et le voir si proche, nous jaugeant de sa hauteur, étonne. L’association bernoise Kora, qui sensibilise le public autour de la conservation des grands carnivores, a soutenu Laurent Geslin, le seul photographe de Suisse à rapporter des images de ce félin dans son milieu naturel. «99% des photographies de lynx sont prises dans des parcs animaliers», soutient-il.

Nous parlions d’art, il faut aussi évoquer la logistique, le repérage, les indices à collecter au fil des sorties en montagne. «Je vois un rapace qui à ma vue s’envole précipitamment, je me dirige là où il était et découvre une proie en partie dévorée, un chamois. J’installe alors un affût à 20 ou 30 mètres, je me fonds dans la nature et j’attends sans faire de bruit.» Une nuit, un jour, une autre nuit, s’endormir et être réveillé par le feulement de la bête.

Un prédateur difficile à dénicher

Laurent Geslin a posé au préalable des pièges photographiques, appareils munis de détecteurs de mouvements et d’un déclenchement automatique installés dans des caissons et placés dans des endroits reculés et stratégiques. Les relevés donnent à voir des clichés de chevreuils, sangliers, chamois, martres, renards, lièvres mais aussi d’un randonneur… nu. Et le lynx boréal bien entendu. Laurent a publié en 2014 un ouvrage Lynx, regards croisés (Ed. Slatkine) riche de 140 photographies du plus grand félin d’Europe. Ils seraient environ 120 dans la chaîne du Jura, sur un territoire de 100 kilomètres carrés. Difficile donc de le dénicher.

Laurent Geslin explique: «Il a été réintroduit dans les années 1970 et ce retour est un joli succès pour la Suisse qui est pionnière dans ce domaine. Le lynx contribue à la régénérescence de la flore parce qu’il fait éclater et disperse les hardes de chamois et de chevreuils.» Bonne nouvelle au moment où le WWF avertit que la planète a perdu 60% de ses animaux sauvages par rapport à 1970, de la faute essentiellement de l’activité des hommes.

Avant de se passionner pour ce prédateur, Laurent fut guide naturaliste sur l’Ile-Grande et l’Ile-Dieu, en Bretagne, puis en Afrique du Sud et en Namibie avant de s’installer à Londres et d’y devenir photographe professionnel. Il y fait du safari urbain, des photos de la faune des villes, tels le renard, l’écureuil, le héron cendré, le faucon. Puis étend ce type de reportage à Barcelone, Rome, Bucarest et d’autres villes européennes, voyage en Inde, au Brésil, en Ethiopie, fait paraître l’ouvrage Safari urbain, publie dans le Daily Mail, BBC Wildlife, Paris Match, National Geographic, L’Illustré, Terre Sauvage, Le Figaro Magazine. Reçoit beaucoup de prix à travers monde.

Le lynx comme voisin discret

Il rencontre Marion, sa future épouse, anthropologue qui travaille pour le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés au Sénégal, dans un camp. Il expose à l’ONU à Genève des photos de Mauritaniens exilés. Quand Marion est nommée à l’Université de Neuchâtel, après un poste occupé à Genève, Laurent constate qu’il vit désormais «à cinq minutes du lynx». Un voisin en quelque sorte, fort discret, voire fuyant. Il fait de même, louvoie grimé en feuillages pour visiter ce proche qui prend un malin plaisir à se montrer lointain. Il s’y rend seul, à une exception près. Son fils, un peu envieux de ce papa qui joue à cache-cache dans la montagne avec un gros chat sauvage, a un jour obtenu qu’il puisse l’accompagner.

Et miracle, l’enfant, muni d’un appareil photo des plus rudimentaires, a lui aussi vu le lynx et l’a pris en photo. Laurent Geslin travaille désormais sur un documentaire de cinquante-deux minutes, version filmée de son travail photographique. Les premières images sont visibles sur le site www.laurent-geslin.com. Des producteurs se sont annoncés mais aucun n’est pour l’heure pas suisse, ce que regrette Laurent, «car ce pays fait beaucoup pour cet animal».

Profil

1972: Naissance à Rennes.

2005: Rencontre Marion, sa future épouse.

2009: Naissance de son fils Maël.

2011: Première observation du lynx.

2014: Publie «Lynx, regards croisés» (Ed. Slatkine).

2020: Sortie de son documentaire sur le lynx.