Avant-hier, c’était «Mega Monday». Dans le monde merveilleux et en expansion du commerce en ligne, «Mega Monday», c’est le jour le plus long. Premier lundi du mois de décembre, la paye vient de tomber. Les gens ont passé le week-end à lécher des vitrines de Noël. De retour au bureau, il ne leur reste plus qu’à faire semblant de travailler tout en remplissant leurs caddies virtuels à coups de clics. Livraison garantie juste à temps pour les fêtes.
Chaque année, le «Mega Monday» devient plus monstre. On estime le nombre de transactions en ligne à quelque 7 millions en 24 heures, dont près de la moitié chez le seul Amazon, notre Père Noël du XXIe siècle.
Depuis que l’on sait, grâce à plusieurs livres et reportages parus ces dernières années, dans quelles conditions misérables travaillent les elfes du Père Noël, «Mega Monday» est aussi le jour où l’on a une pensée émue pour ce sous-prolétariat d’un genre nouveau. Rémunérés au salaire minimum, soumis à des horaires de travail aux limites extrêmes de ce qu’autorisent les lois, les employés d’Amazon triment d’ordinaire comme des mules. Dès fin novembre, des bataillons de main-d’œuvre temporaire viennent grossir leurs rangs pour affronter cet enfer saisonnier – le quasi-quadruplement des commandes journalières – qui débute, justement, par le «Mega Monday».
«Travailler chez Amazon, c’est descendre à la mine du consumérisme», écrit Carole Cadwalladr, journaliste au Guardian, qui s’est infiltrée dans l’un de ces bataillons temporaires pour raconter de l’intérieur cet épouvantable envers du clic. Son excellent article, paru dimanche, démontre, à hauteur d’homme et à l’échelle d’une région, l’inexorable mécanisme de paupérisation qu’entraîne le succès d’Amazon.
Mais Carole Cadwalladr raconte aussi un fait amusant: pendant qu’elle était infiltrée chez Amazon, elle découvre qu’elle n’est pas la seule journaliste à avoir eu cette idée. Son confrère Adam Littler, de la BBC, fait exactement le même reportage en caméra cachée – qui a été diffusé vendredi dernier. Situation hautement absurde, où les deux journalistes-taupes, si ça se trouve, se sont interviewés parmi sans s’en rendre compte.
En jargon médias, on parle de marronnier pour désigner ces sujets qui reviennent de façon récurrente chaque année à la même période. La critique d’Amazon à l’occasion du «Mega Monday» serait donc, apparemment, en passe d’acquérir ce statut. La meilleure preuve en est qu’Amazon, cette année, l’a elle-même anticipé. Déployant une stratégie de communication offensive pour occuper le terrain médiatique et mieux couvrir le bruit de la critique, Jeff Bezos, Père Noël en chef, a annoncé dimanche que son entreprise allait, d’ici quatre ou cinq ans, s’équiper d’une flottille de drones pour assurer des livraisons en 30 minutes dans les zones de forte densité urbaine.
Objectif buzz atteint. Qui n’a pas consacré 1 minute 20, lundi au bureau, à la vidéo du petit drone-facteur octocoptère? A moins que vous n’ayez été, ce jour-là, trop occupé par vos achats de Noël…
Cette chronique est suspendue jusqu’au début du mois de mars, le temps d’un congé de formation.
La critique d’Amazon en cette saison est en passe de devenir un marronnier