L'ennemi des tétraplégiques est un gène appelé Nogo
HANDICAP
Trois équipes de scientifiques, dont une de l'Ecole polytechnique fédérale de Zurich, ont décrypté un gène impliqué dans l'irréversibilité de certaines lésions du système nerveux central. Christopher Reeve, l'acteur américain immobilisé dans une chaise roulante depuis cinq ans, y voit l'espoir de pouvoir remarcher un jour
Les tétraplégiques en savent quelque chose. Les neurones du système nerveux central – c'est-à-dire de la moelle épinière et du cerveau – ne sont pas capables de se réparer tout seuls s'ils sont endommagés. Trois études, publiées dans la revue Nature du 27 janvier, vont peut-être raviver l'espoir que nourrissent ces personnes de remarcher un jour. L'équipe de Martin Schwab, directeur de l'Institut de recherche sur le cerveau à l'Ecole polytechnique fédérale de Zurich, et deux autres groupes américains et britanniques ont en effet identifié un gène impliqué dans l'irréversibilité de leur paralysie. Présent chez l'homme et le rat, ce gène, appelé Nogo, code pour une protéine qui bloque la régénération des neurones. Cette découverte ouvre la porte à des possibilités de traitement contre les lésions du système nerveux central, y compris les attaques cérébrales, responsables notamment des tetra-, para- et hémiplégies. Même si cela prendra plus de deux ans, contrairement à la récente annonce de Christopher Reeve, ex-Superman à l'écran et immobilisé dans sa chaise roulante depuis son accident de cheval il y a cinq ans (lire ci-contre).
Comme le rappelle un commentaire accompagnant les trois articles dans Nature, cela fait presque cent ans que l'on se demande pourquoi les cellules du système nerveux central, contrairement à la plupart des autres tissus du corps, ne se régénèrent pas. Il y a un siècle, Santiago Ramon y Cajal avait déjà observé que les extrémités de neurones sectionnés commençaient par repousser mais abandonnaient très rapidement leurs efforts.
Il y a vingt ans, les scientifiques se sont rendu compte que cette impuissance à se régénérer se limite aux cellules nerveuses du cerveau et de la moelle épinière et disparaît en périphérie. D'où l'hypothèse que la cause doit se chercher dans le milieu extracellulaire plutôt que dans la nature même des neurones. Les neurologues ont rapidement soupçonné les oligodendrocytes. Ces petites cellules sont chargées de la fabrication de la myéline, cette gaine qui entoure les fibres nerveuses et leur assure une isolation électrique. Petite particularité: on ne trouve les oligodendrocytes que dans le système nerveux central. Ce sont des cellules différentes, dites de Schwann, qui remplissent leur fonction pour les nerfs périphériques.
Les anticorps IN-1
C'est déjà Martin Schwab qui prouve le bien-fondé de ces soupçons dans les années 80. Il observe comment des neurones périphériques, mis en culture, se régénèrent sans problème en compagnie de cellules de Schwann. La présence d'oligodendrocytes et de myéline, en revanche, inhibe totalement ce processus. Dans l'esprit des neurologues, les vrais responsables sont probablement des molécules relâchées par ces cellules.
En 1988, l'équipe zurichoise découvre en effet des protéines «myéliniques» qui pourraient bien remplir cette fonction. Sans connaître précisément leur composition, elles parviennent néanmoins à fabriquer un anticorps très spécifique, baptisé IN-1, capable de neutraliser leur action. En 1995, c'est l'heure de la vérité. Les chercheurs injectent de l'IN-1 dans des rats adultes dont la moelle épinière est sévèrement touchée. 5% des nerfs endommagés se réparent. C'est déjà suffisant pour que les rongeurs montrent des progrès fonctionnels surprenants.
Dernière étape de cette investigation minutieuse: trouver l'identité exacte des protéines impliquées et, si possible, le ou les gènes associés à leur synthèse. Mission accomplie aujourd'hui, puisque les chercheurs ont découvert et décrypté un gène jusque-là inconnu qu'ils ont baptisé Nogo. Les premières vérifications ont permis de confirmer que ce gène code pour une protéine, baptisée Nogo-A, qui empêche la régénération des neurones. Puis, pour être tout à fait sûrs de leur coup, ils ont aussi montré que la protéine est bien celle que reconnaît et neutralise l'anticorps IN-1, et donc celle qu'ils avaient isolée quelques années auparavant.
L'homme, prochaine étape
«La prochaine étape sera le développement d'un anticorps pour l'homme, car l'IN-1 est propre au rat, explique Isabel Klusman, coordinatrice scientifique du laboratoire de Martin Schwab. Il faudra aussi découvrir quelles autres fonctions remplit la protéine Nogo-A dans l'organisme.»
La grande difficulté pour les chercheurs sera de passer des conditions de l'éprouvette à celles d'un organisme entier. In vivo, le nombre de molécules interagissant entre elles et avec l'IN-1 ou la Nogo-A est considérable. Faire de l'ordre dans ce chaos demandera de nombreuses années de travail. «Dans le cerveau et la moelle épinière, il existe probablement beaucoup d'autres facteurs qui empêchent la régénération des neurones, précise Dominique Muller, professeur au Département de pharmacologie de l'Université de Genève. On peut aussi imaginer le contraire, que des protéines favorisant cette repousse font défaut.»
Si toutes les barrières empêchant l'autoréparation tombent un jour, les neurones du système nerveux se régénéreront-ils pour autant? Pour survivre et croître, les neurones doivent être stimulés constamment. Une donnée qui ne pourra pas être négligée dans la mise au point d'un traitement futur.