C’est une statistique qui fait mal, en ces temps de crise sanitaire qui ferme les campus au profit du télé-enseignement: les cours en ligne améliorent de 2,5% les résultats des examens des meilleurs étudiants, mais péjorent de 2% ceux qui sont moins brillants. Autrement dit, l’enseignement à distance renforce les inégalités.

L’étude a été menée en 2016-2017 auprès de 1459 étudiants de première année à l’Université de Genève issus de plusieurs facultés, à l’initiative de la Geneva School of Economics and Management (GSEM), et vient d’être publiée dans la revue en libre accès Journal of the European Economic Association. Explications avec l’un des co-auteurs de l’étude, Michele Pellizzari, professeur à l’Institut d’économie et d’économétrie de la GSEM.

Le Temps: Que révèle votre étude?

Michele Pellizzari: Les étudiants avaient le choix entre suivre les cours en classe (on ne disait pas encore en présentiel…) ou chez eux, le cours étant filmé en direct et diffusé en streaming. Certaines semaines il n’y avait que des cours sur place, sans streaming. Nous avons ensuite mesuré la différence de probabilité de réponse correcte chez les 10% d’étudiants qui avaient les meilleures notes avant d’entrer à l’université, et chez les 10% d’étudiants les moins bien notés, selon leur recours aux cours à distance. Nous avons établi que les cours en ligne amélioraient de 2,5% les résultats des examens des meilleurs étudiants, mais faisaient baisser de 2% ceux des étudiants moins brillants.

Comment avez-vous établi le lien entre cours en présence physique, streaming et résultats?

On observe d’une manière générale que tous les étudiants préfèrent venir en cours lorsqu’ils le peuvent: la possibilité d’assister au même cours répliqué en streaming ne diminue la présence en classe que de 8%. La différence intervient lorsqu’il est difficile d’aller en cours, par exemple en raison de problèmes météo. En ce cas, les étudiants les plus forts suivent plus volontiers les cours en streaming, voire en l’absence de streaming ils ne viennent pas mais se disent qu’ils rattraperont plus tard, avec des livres; tandis que les étudiants plus moyens, eux, font l’effort de venir en classe. Ils savent qu’ils ont besoin des explications des professeurs en classe pour comprendre; donc même quand c’est difficile de se rendre sur place, ils le font. Ils suivent les cours en ligne s’il n’y a pas d’autre possibilité, mais le streaming les pénalise car ils perdent l’avantage d’un professeur qui évalue sa classe, voit lorsque les élèves décrochent, peut réexpliquer… Et ce n’est pas un effet dû au groupe: il n’y a pas de différence de qualité d’apprentissage selon le taux de remplissage d’une salle de classe.

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Quelles conséquences a votre étude pour l’amélioration de l’enseignement en ligne, ou de l’apprentissage hybride, qui mêle distanciel et présentiel?

Nous avons utilisé pour notre étude un streaming de cours très simple. Des cours en ligne avec du matériel plus sophistiqué, des éléments interactifs, des cours inversés, ont des effets très positifs pour les étudiants qui ont les meilleures capacités. Mais les innovations pédagogiques réduisent souvent le temps d’explication pure des enseignants, qui est très important pour les étudiants plus faibles. Réduire le temps en présentiel rend les choses très compliquées pour eux, alors que cela n’a pas beaucoup d’influence sur les étudiants les plus forts, qui peuvent prendre un livre ou trouver d’autres ressources. La clé serait d’instaurer de tout petits groupes en interaction vidéo avec un enseignant, des séances quasi individuelles, qui demandent à un étudiant la maturité de se dire: j’ai besoin de ces séances. Mais cela demande une responsabilisation plus importante.