Les dégustations à l'aveugle permettent parfois de bouleverser certaines hiérarchies trop figées dans le monde du vin, et de mettre en valeur des crus de grande qualité pas toujours très connus plutôt que des étiquettes prestigieuses. C'est ce qui s'est passé récemment à la Villa d'Este en Italie lors d'une session du Grand Jury Européen (GJE), durant laquelle 24 dégustateurs renommés d'Europe et des Etats-Unis ont goûté 35 syrahs du millésime 2001 provenant de France, d'Italie, de Suisse, d'Australie et des Etats-Unis. Les six syrahs suisses présentées - cinq valaisannes et une vaudoise - ont fait un résultat éblouissant: elles figurent parmi les neuf premiers vins du palmarès. Quatre d'entre elles sont même dans le peloton de tête.

La Syrah Vieilles Vignes de Simon Maye et Fils à Saint-Pierre-de-Clages et l'Encre de la Terre de Claudy Clavien à Miège obtiennent respectivement la première et la deuxième place du classement. La troisième place revient à la syrah vaudoise Saint-Saphorin de la famille Grognuz, qui possède la Cave des Rois à La Tour-de-Peilz. La Syrah Quintessence de Benoît Dorsaz à Fully occupe la quatrième place. Enfin, les syrahs de Pradec de Denis Mercier (Sierre) et Pré-des-Pierres de Didier Joris (Chamoson) obtiennent respectivement les 7e et 9e place.

Ce résultat est d'autant plus spectaculaire que des vins de réputation internationale - et souvent très chers - étaient en compétition, comme le célèbre Hermitage La Chapelle de Jaboulet (France, 35e position), La Turque de Guigal (France, 24e), Les Ruchets de Colombo (France, 21e), Sine Qua Non Midnight Oil de Krankl (Californie, 8e), la Syrah de Planeta (Italie, 20e), etc.

Trois experts suisses ont participé à la dégustation. Jacques Perrin, membre permanent du GJE et directeur du Club des amateurs de vins exquis à Gland, était l'un d'eux: «Ce qui s'est passé est extraordinaire. C'est un événement fondateur pour les vins suisses et les syrahs en particulier. Ces résultats sont une reconnaissance fabuleuse du travail des vignerons suisses, et une chance pour les vins suisses d'exister à l'étranger.»

Le Français Olivier Poussier, élu Meilleur sommelier du monde 2000, a également participé à la dégustation. Le succès des syrahs suisses ne le surprend pas: «J'ai toujours été un fanatique des syrahs valaisannes. Il y a quelques années, lorsque j'ai dégusté la Syrah Vieilles Vignes de Simon Maye et la Syrah de Pradec de Denis Mercier, j'ai compris le potentiel de ce cépage en Valais. Cette dégustation de la Villa d'Este représente la victoire de la syrah sous des climats tempérés. Un grand cépage se révèle toujours à la limite septentrionale de sa culture. C'est le cas de la syrah en Valais. Elle fait partie des plus belles expressions de cette variété dans le monde.»

François Mauss, président français du GJE, souligne l'importance de l'événement. «Chapeau aux vins suisses! 24 experts, parmi lesquels trois Meilleurs sommeliers du monde, qui dégustent les mêmes vins en même temps et au même endroit, ne peuvent pas se tromper. Les vins choisis pour la dégustation étaient la crème de la crème des syrahs du monde. Ces résultats ont donc un sens. Ce qui a beaucoup plu dans les syrahs suisses, c'est leur finesse et l'équilibre parfait entre la fraîcheur et la maturité du fruit. Les vins étaient techniquement parfaits, et ils ont procuré beaucoup de plaisir. L'enthousiasme qu'il y avait parmi les dégustateurs n'était pas feint. C'était le cœur qui parlait. Nous avons vécu un grand moment de la viticulture européenne.»

Selon François Mauss, les résultats de la dégustation font actuellement beaucoup de bruit aux Etats-Unis, notamment sur le site du célèbre critique américain Robert Parker, où affluent nombre de questions et de commentaires. «Tout le monde veut ces vins suisses, remarque François Mauss. On sait que les producteurs suisses n'ont pas besoin des marchés extérieurs pour bien vivre. Mais lorsque des vins atteignent un niveau de réputation mondial, il est important qu'ils figurent sur les cartes des grandes tables de la planète. Les grands vignerons suisses devraient accepter de consacrer 10 à 20% de leur production pour ces grandes tables.»

Pierre Devanthéry, directeur de l'Interprofession des vins du Valais, est comblé. Pour lui, ces résultats sont la preuve que les syrahs valaisannes «évoluent extrêmement bien dans le temps. Le Valais démontre son potentiel et offre un fabuleux rapport qualité-prix-plaisir. Nous sommes au début de ce que nous pouvons démontrer grâce à un climat et des terroirs exceptionnels.» Quant à Axel Maye, qui dirige la cave familiale créée en 1948 par Simon Maye, il est agréablement surpris par les résultats: «Ils sont importants pour la notoriété d'une région comme le Valais, d'autant plus que le Grand Jury Européen est sévère et crédible. Les très bons vins suisses sont connus des initiés. Mais au-delà de ce cercle, les gens sont souvent sceptiques et trouvent nos vins trop chers. Or, lorsqu'on regarde le prix de certains vins qui étaient en compétition pour cette dégustation, nous sommes très concurrentiels.»

Dans le canton de Vaud, la culture de la syrah est encore confidentielle. Pour Robert Crüll, directeur de l'Office de promotion des vins vaudois, la 3e place obtenue par la famille Grognuz est d'autant plus réjouissante, et confirme selon lui l'énorme évolution qualitative des producteurs du canton.