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Li Yuchun, une idole chinoise

Des millions de Chinois ont eu le coup de foudre pour une jeune chanteuse à l'attitude rebelle. Irrité, le pouvoir en reprend le contrôle en façonnant l'image d'une fille traditionnelle.

Les costumes de scène de Li Yuchun se vendent désormais aux enchères sur Internet jusqu'à 380000 yuans (60000 francs), ou l'équivalent de 126 années du revenu moyen des 800 millions de ruraux chinois. Inconnue hier, cette Sichuanaise de 21 ans est aujourd'hui une idole, une star, un phénomène sans précédent dans une Chine pas tout à fait décomplexée. Cette gloire subite, elle ne la doit pas à son talent. Tout le monde - y compris les plus inconditionnels de ses supporters - est d'accord: elle chante moyennement, danse à peine mieux, et sa beauté n'est pas des plus classiques. C'est même plutôt le genre garçon manqué.

Mais, pour ses fans, Li Yuchun est beaucoup plus que cela: elle a de l'allure, elle est séduisante. Et si elle séduit c'est qu'elle est franche, indépendante, sans masque et sans fard (elle ne se maquille pas). Bref, tout est dans son attitude. Elle incarne un individualisme assumé, un soupçon de révolte contre les conventions et les canons de la féminité. Du jamais-vu pour une chanteuse «made in China».

Pour comprendre l'engouement suscité par cette femme d'apparence pourtant bien sage aux yeux d'un Européen, il faut d'abord se représenter un univers du show-biz totalement aseptisé - ce n'est certes pas propre à la Chine - où les grands spectacles sont organisés dans d'immenses stades avec une discipline militaire. Chaque numéro fait partie d'un agencement exprimant l'unité nationale autour de valeurs traditionnelles aussi bien que d'une modernité relookée par le Département de la propagande. Les femmes y sont forcément douces, belles et sensuelles. Pour bien signifier l'altérité propre au génie chinois, un étranger un peu déjanté (genre pianiste rock suédois qui saute sur son instrument) intervient en milieu de programme, provoquant un léger frisson avant que la parenthèse ne se referme avec des danses ethniques. Les rares excentricités sont servies par des Taïwanais ou des Hongkongais, des Chinois de la marge.

C'est là que débarque Li Yuchun, coupe à la Bowie période 70's, en reprenant des rengaines de chanteurs taïwanais. Hormis son style - jeans troués et T-shirt au lieu de la robe et des paillettes -, l'étudiante en musique intrigue par son côté androgyne, son charme ambigu. Elle fascine aussitôt.

Tout a commencé par un concours, une Star Academy locale au nom qui ne s'invente pas: La voix des super-filles des yoghourts aigres de vaches mongoles (le sponsor fabrique des yoghourts). A ses débuts, au printemps, 150000 candidates se jettent dans la compétition. Au fil des mois, le succès devient phénoménal. Le rendez-vous va mobiliser un public record de 400 millions d'auditeurs (la population européenne réunie).

Pour la grande finale, cet été, les téléspectateurs sont appelés à élire la gagnante par texto téléphonique. Prudents face à la censure, les organisateurs évitent de parler de vote. On enverra donc des «messages de soutien». Pour ce dernier tour de chant, les candidates doivent se plier à l'incontournable chant patriotique. Pas moins de huit millions de SMS (maximum 15 par expéditeur) vont néanmoins affluer. C'est par ce plébiscite, peut-être le vote le plus démocratique qu'ait connu la Chine depuis l'arrivée des communistes au pouvoir, que Li Yuchun est propulsée au sommet hors de tout script dicté par les autorités. Sa «rebelle attitude» fait la différence. «Seul quelque chose qui brise les normes sociales pouvait provoquer une telle réponse», note alors Yu Guoming, un expert en médias de l'Université du peuple cité par le Beijing News.

Li Yuchun a depuis entamé une tournée nationale. A Shanghai, à Pékin, en province, elle remplit les stades. Son visage est partout. Asia Times en a fait l'une de ses «héroïnes de l'Asie» dans la catégorie iconoclaste. Certains critiques la comparent un peu vite à Cui Jian, le «père du rock» chinois, premier chanteur contestataire de la Chine rouge qui fut aussitôt réduit au silence, emporté par la répression des manifestations de 1989. Ce dernier a reçu pour la première fois cette année l'autorisation de chanter dans un stade à Pékin. S'il demeure critique, il peut difficilement représenter la nouvelle génération.

Les autorités, comme beaucoup d'hommes on s'en doute, n'apprécient guère. «C'est vulgaire et manipulateur», a pu écrire un média gouvernemental. Difficile toutefois de briser un phénomène médiatique aussi populaire. Pour neutraliser le potentiel contestataire de Li Yuchun, le pouvoir contre-attaque en imposant l'image d'une fille certes d'apparence moderne mais aux valeurs tout ce qu'il y a de plus traditionnelles. C'est ainsi que prend place depuis peu dans les médias une nouvelle Li Yuchun, beaucoup plus consensuelle, proche de ses parents et somme toute «très Chinoise». Pour sa dernière apparition dans le Beijing News, on la voit couper le gâteau d'anniversaire d'un vieillard de 82 ans... Le respect de l'âge, c'est le respect de l'ordre. The show à la chinoise can go on. Ouf.