«Quand j’ai été admise à la Haute Ecole de musique de Lausanne il y a deux ans, j’ai été certaine, pendant des mois, qu’il s’agissait d’une erreur. Il a fallu que je sois assise dans la classe pour admettre qu’ils ne s’étaient pas trompés.» Anouchka Schwok est chanteuse lyrique. Le sentiment de représenter une imposture, elle connaît: «Ça a commencé à la fin de l’école primaire, j’étais toujours persuadée que j’avais complètement raté mes épreuves. Puis je recevais ma note et j’avais bien réussi, ça agaçait les gens. Depuis, je suis toujours surprise quand quelque chose marche pour moi.»

Un sentiment qui dure

Mais qu’est-ce qui différencie le doute, naturel, du syndrome de l’imposteur? «Ce qui change, c’est la durée», répond Kévin Chassangre, docteur en psychologie à Toulouse et coauteur de plusieurs ouvrages sur le sujet. «On peut douter sur un point précis et se rassurer devant des signes objectifs. Mais il y a un vrai problème lorsque le sentiment dure longtemps et se généralise à tout un domaine, familial ou professionnel, par exemple.»

Les symptômes? Le dénigrement de ses compétences, l’attribution de son succès à des facteurs externes comme la chance, la peur de l’échec, le fort besoin d’être reconnu ou encore l’attitude de Superman: vouloir soi-même tout gérer. Ariane Mawaffo s’y reconnaît aussi. C’est une psychologue qui a d’abord parlé à cette jeune femme de 33 ans, chargée de projet pour l’association La CENE littéraire, du syndrome de l’imposteur. «Je viens du Cameroun, on m’a acceptée à l’Université de Genève en 2011 sur dossier. Je n’arrêtais pas de me dire qu’ils allaient se rendre compte qu’ils n’auraient pas dû me choisir.»

«J’y pensais en m’endormant»

Le sentiment de ne pas être à la hauteur poursuit ensuite Ariane dans d’autres domaines: «J’ai commencé à donner des cours de hip-hop à des enfants en 2012 à Genève. J’avais appris en autodidacte. On me disait que c’était bien, mais je pensais que les gens réaliseraient que je n’étais pas légitime.» Les cours deviennent alors une angoisse pour la jeune femme: «Je savais que pour les enfants c’était juste un passe-temps, pourtant je me disais qu’il fallait absolument que je leur donne une base solide. J’y pensais en m’endormant, je me demandais: «Est-ce que j’ai bien fait, comment est-ce que je peux faire mieux?» Toujours ces mêmes peurs.»

Les jeunes plus touchés

Comme Anouchka ou Ariane, beaucoup de jeunes souffrent de cette dépréciation permanente. Les jeunes présentent davantage de risque, explique Kévin Chassangre: «Le ressenti diminue avec l’âge, parce qu’on identifie mieux ses capacités.» Et si l’on parle de ce problème depuis les travaux de deux psychologues, Pauline Rose Clance et Suzanne Imes – en 1978 et d’ailleurs revus depuis cette date – le psychologue juge le phénomène très actuel. «Notre société compétitive, axée sur la performance et une demande de reconnaissance, est très propice au développement du syndrome de l’imposteur.»

Comment agir, alors? Kévin Chassangre donne des pistes dans un livre publié en 2016, Cessez de vous déprécier! Se libérer du syndrome de l’imposteur (Ed. Dunod), écrit avec la psychologue Stacey Callahan. «L’idée est d’adopter un point de vue plus rationnel sur soi en réalisant des exercices.» Le livre propose par exemple, en parallèle d’explications théoriques, de tenir un carnet des réussites pour se concentrer sur le positif. Ou de lister ses forces et ses faiblesses pour mieux s’accepter. Et pour Kévin Chassangre, tout n’est pas négatif: «Si l’on arrive à nuancer ce ressenti, il peut aussi être une source de motivation, d’humilité et d’engagement.»