Quand le virus a frappé les Etats-Unis, Lam, 27 ans, et son colocataire Nix, 28 ans, tous deux confinés dans leur loft de Brooklyn, ont décidé que la distanciation sociale exigée ne condamnerait pas les âmes esseulées à déprimer dans leur canapé. S’inspirant de Love is Blind, la téléréalité de Netflix où des célibataires se découvrent en conversant, sans jamais se voir, à travers un mur, ils ont imaginé Love is Quarantine: un compte Instagram qui permet de mettre en relation les solos en quête d’amour.

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Les postulants, de tous âges et de toutes orientations sexuelles, sont invités à échanger, par textos, tout en se filmant avant et après la rencontre virtuelle, pour donner leurs impressions. Libre à eux, ensuite, de badiner loin de la plateforme, quand la magie opère. En dix jours, le compte a décollé, récoltant 154 000 abonnés et des milliers de candidats.

Avec, déjà, ses stars, comme Anna, 71 ans, tournant en dérision son râteau avec Ronald après qu’il lui a annoncé sans tact préférer les femmes plus jeunes, ou Rich, sexagénaire prêt à renoncer à son amour de la chasse pour conquérir Carrie, amoureuse des animaux. «Beaucoup de personnes seules ont actuellement besoin de connexion, d’une communauté et, surtout, d’amour. Cela ne doit pas s’arrêter pendant la pandémie, et nous allons faire de notre mieux pour les aider, confiait récemment Lam sur la chaîne CNN. Il y a beaucoup de gens qui ne vont pas très bien et nous espérons, au-delà du simple divertissement, pouvoir les aider.»

«L’abstinence la plus longue de ma vie»

Au vu de la situation à Wuhan, plus de soixante jours d’enfermement strict, le confinement pourrait s’avérer long dans bien des pays du globe. Et beaucoup de célibataires se demandent comment ils vont occuper cette période de latence imposée et continuer à créer des liens.

Confinée seule, on se sent vraiment très fragile par rapport aux amis en couple

Irène, trentenaire célibataire

«Plus de contact, d’attention, d’affection… Au début, j’ai angoissé, mais après dix jours de confinement, ça va, j’ai intégré l’idée que les rencontres réelles n’étaient plus possibles et que je m’apprêtais à traverser la période d’abstinence la plus longue de ma vie sexuelle», note Irène, enfermée et «heureusement occupée par le télétravail.»

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Plus fragile quand on est seul(e)

Comme beaucoup de célibataires, elle s’amuse même du «retour des ex»: «Les protagonistes de vieilles histoires, parfois datées d’il y a dix ans, m’ont recontactée. Ça arrive par vagues. Et ça fait bien passer le temps aussi. Parce que, confinée seule, on se sent vraiment très fragile par rapport aux amis en couple.»

Sur les réseaux sociaux, beaucoup confient leur espoir de voir l’isolement contraint s’avérer propice aux échanges plus vrais. Et si ce coup de frein aux occasions d’étreintes livrées en quelques swipes provoquait des rencontres aussi inédites que la période, quand tant d’utilisateurs d’applis exprimaient déjà leur «dating fatigue» (le ras-le-bol du supermarché de la drague) avant la pandémie. Difficile d’écrire l’histoire avant qu’elle ne se produise, mais Louisa Amara, créatrice du podcast sur les célibataires Single jungle, a constaté dès les premiers jours un changement d’atmosphère sur Tinder.

Le confinement, un bon brise-glace

«Bien sûr, il reste encore des irresponsables qui proposent des étreintes «locales», en expliquant qu’ils peuvent profiter de leur tour en jogging pour passer faire coucou, mais le fait de partager collectivement cette période étrange insuffle plus de sincérité sur l’appli, observe-t-elle. Le confinement est même devenu un bon brise-glace: chacun démarre la conversation en demandant comment l’autre le supporte. On sent l’incertitude partagée, l’envie de lien. Par exemple, j’ai toujours proposé de vite passer sur WhatsApp pour mieux communiquer, et d’habitude, les hommes rechignent à donner leur numéro. Là, non. Ce moment va peut-être rappeler la grande époque des forums et tchats, quand les rencontres prenaient du temps?»

La pandémie bouleverse en tout cas le fonctionnement de beaucoup d’applis, telle Happn, qui proposait d’échanger avec ceux croisés dans la rue, et qui a dû étendre son rayon d’interactions virtuelles de 250 m à 90 km autour des utilisateurs. Once, qui offrait quatre profils par jour, a aussi installé une fonction live video, pour que chacun puisse se voir sur smartphone. Meetic prépare également des actions d’accompagnement et note des changements de comportements: «Pour encourager à rester chez soi, nous avons très tôt envoyé des mails en rappelant que les échanges des semaines à venir seraient virtuels, tient à préciser Héloïse des Monstiers, directrice France. Et deux tendances se dessinent déjà: il y a ceux qui se sont aussitôt désabonnés en disant que ça ne servait plus à rien, et les inscrits qui se connectent beaucoup plus fréquemment.»

Eros et Thanatos

Quelle que soit l’appli, Louisa Amara pronostique «une frénésie de masturbation et d’échanges sexuels virtuels. Un truc très instinctif, dans le stress de cette menace mondiale. Eros et Thanatos, tout ça… Dans mon cas, j’ai envie de nouvelles rencontres, mais chaque célibataire sera créatif, trouvant sa méthode. Le seul conseil que je donnerais, c’est: attention aux images intimes envoyées et à leur exploitation possible. Le sexting, c’est uniquement avec des partenaires de confiance.»

Pour Richard Mèmeteau, philosophe et auteur de Sexfriends. Comment (bien) rater sa vie amoureuse à l’ère numérique (Ed. La Découverte), la «continuité érotique» virtuelle risque d’ailleurs d’être aussi périlleuse pour les célibataires que la continuité pédagogique pour les parents: «L’intérêt de pas mal d’applis est de pouvoir bénéficier d’une offre géolocalisée au gré de ses déplacements, voir en quelque sorte le cœur des célibataires palpiter autour de soi. Tous coincés à demeure, j’ai bien peur que cette excitation semble fade.» Raison pour laquelle il entrevoit même un nombre de jeunes braver l’interdit, pour continuer de s’étreindre: «On a basculé dans un monde chaotique et certains n’ont plus la même morale. Ils vont apprécier la loi, les recommandations, selon leur situation. Mais j’espère que chacun en discutera avant.»

Irène aussi a eu «la proposition du joggeur, un homme par ailleurs en couple», elle a décliné. En ce temps de crise, le sexe virtuel lui semble également frustrant: «J’ai l’impression que ça augmente le sentiment de solitude après. Mais on est seulement au jour 10. Peut-être que, dans cinq jours, je ne ferai que ça toute la journée!» Sa seule certitude partagée avec des proches célibataires: «Bien choisir sa première étreinte post-confinement. Parce que ça sera un vrai privilège de l’offrir à quelqu’un, après tant de frustration…»


Pour aller plus loin, écouter aussi le podcast «Message Viral»