Le sweat-shirt blanc, un peu transparent, habille un corps musclé, tendu comme une liane. Normal, le Lausannois Ludovic Dhénin, 29 ans, a fait de la boxe thaï, et des entraînements de MMA (combat libre). De petites balafres rayent son visage. «C’était le jour de mes 18 ans. Je défendais un pote et j’ai pris quatre coups de couteau au visage», raconte ce spécialiste du vapotage haut-de-gamme, qui envoie ses produits spécialisés jusqu’en Malaisie ou au Kazakhstan.

Fils d’un physiothérapeute du Havre et d’une mère marseillaise, «qui fait la compta du cabinet», Ludovic Dhénin est l’aîné d’une famille de six enfants. Il a connu une adolescence en dents de scie. «A un moment, je me suis perdu», résume cet ancien «très mauvais élève». Mais depuis quelques années, sa passion pour la cigarette électronique a focalisé toute son énergie, et son entreprise, High Creek, devrait réaliser un chiffres d’affaires de près d’un million de francs cette année, escompte-t-il.

Comme la plupart des commerçants indépendants de la vape, Ludovic Dhénin s’est lancé dans ce business en essayant une cigarette électronique. «C’était une cigarette chinoise avec du liquide Ry4, au goût de tabac caramélisé. En un rien de temps, j’ai divisé ma consommation de cigarettes par deux.» Génial, avait pensé le futur patron.

Adolescent, le garçon avait expérimenté avec succès la vente de livres de recettes par téléphone. Doté d’un CFC d’informaticien, il a ensuite œuvré comme agent dans un call center de Swisscom - «genre, j’ai perdu mon code PIN», rigole-t-il - avant de lancer avec un ami une petite boîte de création de sites internet. L’affaire fonctionne, mais il y a des dettes.

Nous sommes fin 2012, et la vape décolle en Europe. Dans les villes, des jeunes se lancent dans le commerce de la vapeur, flambant aussitôt des bénéfices dégagés par ce produit venu de Chine, dont la progression a surpris tout le monde. Ludovic Dhénin se trouve au Cambodge auprès de la famille de sa future femme, une étudiante en médecine nommée Chenda.

Réinvestir pour se développer

Il chatte et skype avec des fournisseurs chinois et lance ainsi son premier site, nommé Cigarette électronique suisse. «J’ai choisi le nom le plus efficace pour le référencement naturel, puisque Google n’autorise pas la pub pour le tabac et l’alcool; c’est les Américains.». A cette époque, les e-shops sont très rares en Suisse. Les commandes affluent et le jeune patron livre bientôt jusqu’à 70 paquets par jour, si bien que la Poste lui proposera une conseillère maison, l’invitant à des galas, où il taille le bout de gras avec des gros clients de la vente par correspondance, comme DeinDeal.

Rue de Boston, à Lausanne, Ludovic loue un bureau, aussitôt transformé en centre d’achat et de renseignements. L’année 2013 lui permet de faire un chiffre d’affaires de presque un million de francs. «Je n’ai pas de grosse voiture et je réinvestis tout pour me développer», assure celui qui dit œuvrer du lundi au dimanche.

Ludovic Dhénin vend d’abord des produits chinois standard, comme la Stardust. «Comparativement aux standards actuels, les produits étaient de piètre qualité». Il arrive que certaines cigarettes coulent et les batteries s’essoufflent vite. Par ailleurs, les fumeurs ont besoin de concentrations de nicotine élevées, que les appareils actuels ont réduites de moitié grâce à de meilleures performances. L’e-cigarette de M. Tout le Monde évolue, la concurrence augmente et les marges baissent. Il faut se spécialiser. Ça tombe bien, car le Lausannois, habitué à bidouiller des PC, est devenu un «geek» de la vape. Il vendra des Mods, terme générique pour décrire des appareils démontables et transformables.

Alors que le Conseil fédéral vient de communiquer son message relatif à la Loi sur le tabac, qui traitera également des cigarettes électroniques, l’évolution de ces appareils les éloigne de plus en plus leur petite sœur ennemie: la cigarette combustible. Les produits suisses, allemands, portugais et philippins que distribue Ludovic Dhénin dans le monde entier offrent aux amateurs des dispositifs sophistiqués. Les Mods sont parfois produits de façon artisanale - c’est le cas d’appareils mécaniques philippins qui profitent du savoir-faire de la coutellerie locale, devenant des objets de luxe. La mécanique de précision est au cœur de ce travail. Ainsi High Creek diffuse-t-il dans le monde entier des atomiseurs produits à Lausanne par L’Atelier du mod, société familiale fondée par un spécialiste de l’automation, Franco Baldelli. L’atelier produit 1000 pièces par mois et bientôt le double.

Vapotage geek

Le principe même des Mods, qui se montent et se démontent comme un jeu de mécano, offre aux vapoteurs «geeks » - qui représentent environ 15% du marché suisse, estime Ludovic Dhénin - des possibilités sans fin. Ainsi, par exemple, ces réservoirs - nommés «tanks», ou «box» - où l’utilisateur imprègne directement l’atomiseur avec un liquide de son choix, « pour un maximum de vapeur et de goût». Comme la majorité des vapoteurs, Ludovic Dhénin fume des produits nicotinés. Il dit ne céder à la cigarette classique «qu’en soirée, si jamais je n’ai pas de vape sous la main», mais pour aussitôt trouver ça «dégueulasse».

Manipuler des liquides avec nicotine n’est-il pas dangereux? Le patron d’High Creek prend une pipette et fait couler du liquide avec nicotine - 3 mg pour un millilitre - sur sa main. «De la nicotine pure serait dangereuse, mais cette concentration est sans effet», résume le boss, qui a deux autres shops sous franchise à Genève et la Chaux-de-Fond. Son prochain projet: lancer, avec des clients qui mélangent leurs propres nectars, une marque de liquides. Le produit sera fabriqué en France. Alors qu’aux frontières les pays mettent en place la directive européenne sur le tabac, jugée liberticide par les pro-vapotage, Ludovic Dhénin, qui dit s’inspirer de l’horlogerie pour développer son business, estime que la Suisse tirera peut-être son épingle du jeu en devenant «l’Eldorado de la vape.»


Mini-Bio

1986: Naissance à Lausanne 

2004: Blessure au visage lors d’une rixe 

2012: Lancement à partir du Cambodge du site de vente en ligne Cigarette électronique suisse

2014: Création de High Creek, marque et shop spécialisés dans l’e-cigarette haut-de-gamme