Les maîtres du monde au temps de Jésus

Histoire En l’an 4 av. J.-C., date supposéede la naissance de Jésus, quel était l’état du monde?Qui gouvernait? Quelle était la situation économiqueet sociale?

A Rome, Auguste règne sur l’Empire romain.En Judée, Hérode le Grand est le roi des Juifs

En Chine, les Han érigent l’empire et son idéologie

Auguste à Rome. Hérode à Jérusalem. Ils sont les maîtres du monde. Leader global pour le premier à la tête de l’Empire romain, qui s’étend de l’actuel Portugal à l’Anatolie, de l’Ecosse à la Libye. Patron régional, chef du royaume de Judée pour l’autre. Avec une similitude: des règnes de très longue durée. Quarante-cinq ans pour Auguste et 33 ans pour Hérode.

Pour comprendre l’état du monde à la naissance de Jésus, remontons dans le temps. Jusqu’à Alexandre le Grand, qui crée un immense empire, empochant dans son élan le contrôle de Tyr en Phénicie, puis de la Samarie et de la Judée, précédemment sous gouvernement perse. Après sa mort en –323, cet empire qui allait jusqu’aux rives de l’Indus voit s’affronter successeurs et généraux d’Alexandre. Il est divisé en plusieurs satrapies. Et pour le Proche-Orient, il est cassé en deux: les Lagides à l’ouest, de qui descendront les Ptolémées (proches de l’Egypte, de Chypre et de Cyrénaïque), et les Séleucides à l’est (proches de la Syrie et de l’Irak actuels).

Dans son livre Que sait-on du Nouveau Testament?, Raymond E. Brown résume la situation: «Pendant la première centaine d’années, les Ptolémées dominèrent le plus souvent la Judée. En traitant avec succès avec les maîtres de l’Egypte, une grande famille de commerçants juifs, les Tobiades, s’imposa en Transjordanie. Et par une stratégie de coopération politique et financière les grands prêtres de Jérusalem évitèrent l’ingérence des Ptolémées dans les affaires religieuses pendant presque toute cette période.»

La situation change lorsqu’après une série de campagnes, le roi séleucide Antiochus III, à la tête du plus puissant royaume hellénistique de la région, humilie les Ptolémées et prend le contrôle de toute la Palestine. Après les diktats religieux imposés par son fils Antiochus IV, les Juifs se rebellent et chassent les Séleucides pour former à Jérusalem un petit pouvoir très fragile autour du Temple… C’est en 164 av. J.-C. Les Juifs reprennent alors la main sur Jérusalem.

Comme ces dernières décennies, la Palestine est terre de conflits. La Judée, rappelle Yann Le Bohec dans Géopolitique de l’Empire romain , est «un territoire mal placé, un vrai couloir d’avalanches: entouré de trois grandes puissances, l’Anatolie, la Syrie et l’Egypte, il était emprunté par des armées et devenait un champ de bataille chaque fois que deux de ces Etats voulaient se faire la guerre». Dans cette instabilité politique, Rome doit jouer finement. «Le pouvoir romain s’appuie sur des chefs locaux, notamment sur Antipater, allié par mariage aux Nabatéens, qui s’installe sur toutes les zones faibles du pouvoir séleucide. Ça permet aux Romains de ne pas trop se salir les mains mais de contrôler la situation. Comme les Juifs rêvent d’autonomie et que les procurateurs de Rome comprennent mal le judaïsme, cela ouvre les portes à toutes sortes de rébellions, souvent réprimées dans le sang», explique le bibliste jurassien Didier Berret.

Pour en finir avec ce chapelet de querelles, Rome met pleinement les mains dans le cambouis. Avec une date clé: 63 av. J.-C. Pompée, alors général, entre à Jérusalem et dans le Temple. «Depuis 164 av. J.-C., c’est une période d’aspiration à l’autonomie de plus de 100 ans qui prend fin; la dernière période historique, jusqu’à l’Etat moderne actuel, où le peuple d’Israël a vécu une forme d’indépendance politique», commente le professeur Andreas Dettwiler, de l’Université de Genève. Raymond E. Brown écrit: «Les Romains deviendront alors pratiquement les maîtres du pays, même s’ils se servirent des grands prêtres et des roitelets serviles.»

Après une douloureuse période de rivalités locales, une solution se dessine. Un roitelet est à leur disposition. L’homme fort qui monte, c’est Hérode le Grand, fils d’Antipater, chef iduméen du sud de la Judée. Dans la foulée des guerres civiles qui suivirent l’assassinat de César en 44 av. J.-C., il a su nouer les bonnes alliances à Rome. En –40, le Sénat le reconnaît comme roi de Judée et citoyen romain. Et par l’origine de son père, nombre de coreligionnaires le considèrent comme un demi-Juif. En –37, par la violence et par un mariage expéditif dans la famille hasmonéenne – une dynastie influente en Judée –, il entre dans Jérusalem et devient le roi incontesté de la région. Hérode est confirmé dans sa royauté par Octave, qui deviendra Auguste, en 31 av. J.-C.

Auguste, justement, c’est le nouveau maître du monde. Né sous le nom de Caius Octavius, d’abord appelé Octave puis Octavien, il portera, à la fin de son règne, le premier titre d’empereur romain. D’où vient-il? Issu d’une ancienne et riche famille, mais réputé plutôt simple et frugal, il fonde avec Antoine et Lépide le Second triumvirat afin de défaire les assassins de César. Après leur victoire à Philippes, les triumvirs se partagent le territoire de la République romaine et gouvernent en tant que dictateurs militaires. Le triumvirat est finalement dissous à cause des ambitions grandissantes de chacun de ses membres. Octavien affronte Antoine, allié à Cléopâtre, la célébrissime reine d’Egypte, entre 32-31 av. J.-C…

Rentré à Rome en 29 après avoir pris Alexandrie, Auguste triomphe et s’empare peu à peu des pouvoirs qui lui sont conférés à vie par le Sénat, comme le commandement suprême des armées ou la fonction de censeur. Et c’est ainsi qu’il installe une monarchie impériale, mais non absolutiste. Ce modèle de gouvernement va porter le nom de Principat, première phase de l’Empire romain.

D’autres traits d’Oc tave / A uguste méritent d’être soulignés. D’abord, sa famille. Il a épousé Livie, «une femme encore plus froide et plus attachée au pouvoir qu’il ne l’était», écrit Le Bohec. Et puis, parmi ses amis, il y a deux figures fortes, Agrippa et Mécène. Le Bohec décrit: «Agrippa, qui était de modeste origine, représentait les hommes nouveaux, les personnages sans ancêtres auxquels le nouveau régime avait permis de se hisser au premier plan. Aussi, il agaçait une partie de la noblesse, il plaisait à l’autre. […] Mécène, lui, a eu assez de génie pour faire de son nom propre un nom commun. Ce chevalier étrusque, quelque peu épicurien, aimait le luxe, l’érotisme et l’amitié. Habile politique, officier courageux et habile diplomate, il mit au service de l’Etat son talent. Il créa un cercle d’intellectuels favorables à Octave/Auguste qui brilla à partir des années 39-38 et connut son apogée vers 26-20. Il y attira surtout Virgile, Horace et Properce.»

Pour un temps, le fracas des armes s’estompe dans l’Empire romain. Ou presque. Avec le règne d’Auguste débute une période de stabilité connue sous le nom de Pax Romana. Si, au centre, règne enfin la paix, aux frontières de l’empire quelques guerres continuent, défensives ou agressives. «En 45 ans, écrit Yann Le Bohec, Auguste a agrandi l’Empire romain d’un quart environ, ce qui est considérable. En Orient, l’Egypte puis la Galatie sont venues s’ajouter aux conquêtes précédentes. En Occident, la pacification de la péninsule Ibérique a été achevée, avec la victoire remportée sur les Astures. Le premier empereur a soumis les Alpes et la rive droite du Danube, avec l’annexion des Alpes maritimes, de la Rétie, du Norique, de la Pannonie et de la Mésie.» Beau palmarès.

Dans Le Monde où vivait Jésus , sous l’autorité d’Hugues Cousin, il est question d’un empire de 50 millions d’habitants sous Auguste, et bientôt de l’ordre de 100 millions en 60 ap. J.-C. «Une population jeune, avec une espérance de vie courte, entre trente et trente-cinq ans, avec une forte mortalité infantile, augmentée par une tendance à l’infanticide, qui tenait lieu de régulation des naissances.»

La Méditerranée est devenue un lac romain. Et Rome, autrefois ville italienne, est devenue un très grand centre économique avec afflux de richesses et problèmes nouveaux posés par l’esclavage. «Provinciaux et alliés de Rome accueillent avec soulagement la fin des hostilités entre dirigeants romains et l’avènement d’un nouveau régime», écrivent Jean-Pierre Guilhembet et Pascal Montlahuc dans Le Monde romain . «L’époque augustéenne est une période déterminante dans la gestion du monde romain: sous l’égide du prince dont les moyens d’intervention sont multiples, est entrepris un «inventaire du monde», dans le but de rationaliser la domination romaine sur les provinces, dont les gouverneurs et la fiscalité paraissent mieux contrôlés.» Dès –27, pour contrôler ce vaste territoire, il est créé des provinces sous l’autorité du Sénat romain, et des provinces, moins apaisées, sous le régime de légats de l’empereur ou de princes locaux. Comme pour la Judée, par exemple.

A Jérusalem, celui qui fait le travail, c’est Hérode, le protégé et allié d’Auguste. «Il est roi par délégation de la grande puissance mondiale, commente Andreas Dettwiler. Mais il dispose d’une grande autonomie sur le plan de la justice, de la fiscalité, etc.» Et de poursuivre: «Il saura se montrer Juif à l’égard des Juifs et Romain à l’égard des Romains. Il fera, par exemple, beaucoup de lobbying à Rome pour le sort des communautés juives de la diaspora. Mais Hérode a échoué à obtenir l’acceptation du peuple. Il a pourtant fait des efforts…» Beaucoup d’efforts. Hérode a été un constructeur. Il a de nombreux égards pour la capitale, Jérusalem. Il s’attelle à faire reconstruire et embellir le Temple. Il comprend qu’il peut s’attirer la bienveillance des Juifs s’il les aide à réaliser cette immense entreprise. L’agrandissement de l’édifice est en effet une œuvre considérable, d’une «magnificence indescriptible» selon les écrits de Flavius Josèphe.

Entre 22 et 9 av. J.-C., Hérode entreprend sur la Méditerranée la construction d’une ville moderne et romaine, Césarée Maritime, pour contrecarrer l’importance de Jérusalem. Il y installe son gouvernement. Il crée une ville avec théâtre, hippodrome, forum et surtout un des plus grands ports (plus grand que Le Pirée) ouvert sur la Méditerranée! Hérode reconstruit également Sébaste («ville d’Auguste» en grec), à l’emplacement de l’ancienne capitale d’Israël, Samarie. Et toute une série de forteresses (Massada, Herodium, etc.).

Hérode installe une forme de paix dans la région. Finies les invasions étrangères et les guerres meurtrières, les brigands qui s’emparent des biens, tuent ou incendient. Mais le sang coule encore. Hérode est un homme cruel qui n’hésite pas à éliminer nombre de ses proches, amis, prêtres, nobles, «un caractère un peu standard de l’époque», observe Andreas Dettwiler. «La liste des victimes d’Hérode est horrifiante, écrit Alan Millard, et jette l’opprobre sur sa mémoire. Il fit exécuter une de ses dix femmes, ordonna la mort de trois de ses propres fils et de deux de ses beaux-frères.» Jusqu’à Hyrcan, ancien roi et ancien grand prêtre âgé de 80 ans, le grand-père de sa femme. Objectif: conserver sa couronne et assurer sa propre sécurité.

L’homme est suspicieux. Hugues Cousin écrit: «Jaloux de son pouvoir, craignant une usurpation de la part de ses fils, inquiet face à la mort, Hérode laisse en –4 un bel héritage mais, ultime ruse, il n’en facilite pas le partage. A plusieurs reprises, prétextant des complots, il a modifié ses dispositions testamentaires.» Cela engendre un bel imbroglio et de fortes tensions, au point que l’affaire remonte à Rome. Et c’est Auguste qui rend sa décision. Il donne la moitié du royaume (Judée, Samarie et Idumée) à Archelaus avec le titre d’ethnarque. Le reste du territoire est partagé entre les deux autres frères qui avaient rang de tétrarques, soit Philippe et Antipas, souvent nommé Hérode Antipas. Le premier reçoit la partie nord du royaume et Hérode Antipas la Galilée et une partie de la Transjordanie.

Les fils d’Hérode ont la main ferme comme leur père. Voire plus encore. A Jérusalem, Raymond E. Brown ose le mot: «Le pouvoir d’Archelaus était despotique; il s’attira la haine de ses sujets, au point qu’ils envoyèrent une délégation à Rome pour demander son renvoi. Auguste répondit en l’an 6 en le destituant et en faisant du territoire d’Archelaus le sanglant la province impériale de Judée. Quirinius, légat de Rome en Syrie, fit un recensement à des fins d’imposition: ce recensement, un élément de prise de pouvoir romaine, provoqua une rébellion menée par Judas le Galiléen.» La rébellion de ce Judas qui eut lieu alors que Jésus avait 12 ans est le seul soulèvement sérieux juif enregistré en Palestine durant son enfance, note Brown.

L’enfance de Jésus, ne l’oublions pas, se passe en Galilée. Hérode Antipas y règne également avec fermeté. Sa politique fastueuse suscite le courroux parmi les Juifs. Pressurés, les paysans sont à la merci de mauvaises récoltes et sous le poids des impôts. Hérodien, rusé, orgueilleux, sont les qualificatifs qui reviennent le plus souvent quand on parle du maître de la Galilée.

A Genève, Andreas Dettwiler, professeur de Nouveau Testament, dresse un tableau plus nuancé de la situation en Galilée. «Je m’oppose à l’image romantique habituelle: la Galilée n’était pas un nid de révolutionnaires, ni une terre de brigands. La situation pouvait être tendue parfois, mais c’est une région qui vivait relativement bien, stable sur le plan politique, solide sur le plan économique. La Galilée compte alors quelque 150 000 à 170 000 habitants. Aucune crise économique majeure n’est attestée durant cette période. C’est une région rurale, faite de petite agriculture, qui échange largement ses produits (olives, vin, figues, miel, etc.). Au bord du lac de Tibériade, Magdala est une ville florissante qui exporte sa pêche. La Galilée n’est pas isolée, car elle se situe sur un réseau routier important, qui va d’Alexandrie en Egypte vers Damas en Syrie, en passant par Gaza. Enfin, c’est une région majoritairement et profondément juive. Ce n’était pas une antichambre du paganisme. Dans ce contexte, Jésus fait partie du judaïsme de l’époque, multiple, pluriel. Il n’était pas acteur d’un mouvement de révolution sociale théocratique, mais un prophète itinérant, porteur d’un projet religieux, l’avènement du projet de Dieu parmi les hommes.»

En Galilée, comme son père, écrit Hugues Cousin, Antipas a la maladie de la «pierre». Il construit beaucoup: villes, palais, forteresses. A commencer par Césarée Philippe et la ville de Tibériade, nommée ainsi en l’honneur de Tibère, devenu empereur en 14. Aménagée sur un ancien cimetière juif, ce qui n’est pas le meilleur choix politique, la ville est construite sur le modèle d’une agglomération grecque. Les sculptures du palais sont scandaleuses pour un Juif fidèle, mais Antipas se retient de frapper des monnaies portant des représentations humaines ou animales. De 6 à 66, à l’exception de la période 41-44, la monnaie juive est en effet remplacée par une monnaie émise par les gouverneurs romains, monnaie d’ordinaire frappée à l’effigie de l’empereur. Mais en Judée comme en Galilée, les Romains ont évité de le faire pour ne pas heurter les Juifs.

La monnaie, justement, est un puissant indicateur des changements survenus au cours de l’histoire. Avec des périodes de frappe plus ou moins massive, des émissions en or – rares à Rome sauf au temps de César qui puisait dans le métal précieux pillé en Gaule –, argent ou bronze. Il y aura même, sous le règne d’Auguste, un changement de lieu de frappe. De Rome, l’atelier impérial sera déplacé à Lyon entre 15 av. J.-C. et 64 ap. J.-C. Pour des commodités techniques d’approvisionnement et aussi pour être à proximité des légions du Rhin, sans pour autant placer l’atelier à leur contact. Sous Auguste, il n’y eut pas d’unification monétaire imposée par le haut. La suppression des monnayages locaux n’intervient que plus tard, sous la période de l’empereur Claude (41 à 54).

Au temps de la naissance de Jésus, les Juifs font donc leurs achats avec une monnaie battue par leurs maîtres. Pour les grosses opérations ou pour l’épargne des riches, relate Alan Millard, existe une pièce d’or, l’aureus, qui valait 25 deniers ou 25 drachmes grecques. Le denier ou la drachme, lui, se divisait en 4 sesterces. Le quart de denier était l’unité de base pour les Romains. Il fallait quatre as pour un sesterce et seize as pour un denier. Les soldats étaient payés en as et le prix moyen d’un pain était d’un as. Il y avait encore plus petit comme pièce, soit le quadrant et le lepte.

Les revenus d’Hérode, rappelle Alan Millard, se calculaient en talents, une unité monétaire trop importante pour être frappée. Le talent valait 10 000 drachmes ou 40 000 sesterces. «A sa mort, écrit-il, le revenu annuel d’Hérode s’élevait à 1050 talents, soit 42 millions de sesterces. Cicéron estimait que, pour mener une vie aisée à Rome en 50 av. J.-C., il fallait 600 000 sesterces. C’est-à-dire environ 1000 fois le revenu annuel d’un fermier de Palestine à la même époque!» Dans la parabole du serviteur impitoyable (Mt 18, 23), la dette de 10 000 talents que le roi remit à son serviteur équivaut à dix ans de revenus d’Hérode.

«Des collabos de Rome»

Parler argent, c’est parler impôts. Didier Berret relève que les Evangiles précisent plusieurs fois «le rôle très dénigré des collecteurs d’impôts qui sont considérés plus ou moins comme des collabos de Rome». Des hommes au niveau des pécheurs publics et des prostituées (Mt 9, 10). Le siècle de Jésus était-il un régime de terreur fiscale? Oui, à lire Alan Millard. Rome lève des impôts sur tous les territoires où il étend sa domination: impôts sur les produits du sol, impôts sur les importations et exportations, impôts sur les personnes. Hérode devait lui aussi payer un tribut à Rome en échange de sa protection, et en signe de dépendance. C’était un impôt sur la terre, fixé à 12,5% de la production agricole annuelle.

Dans tous les ports et toutes les villes de l’empire, des percepteurs sont chargés de prélever l’impôt sur les marchandises en transit, à un taux de 2,5% de la valeur du bien. La perception de cet impôt est très profitable, car le percepteur estime lui-même cette valeur, n’hésitant pas à la surestimer à sa guise.

«Exagérés et humiliants»

Les percepteurs ne sont pas des fonctionnaires, mais des hommes d’affaires qui achètent le droit de lever des impôts dans un secteur déterminé. Ils payent eux-mêmes à l’Etat les sommes fixées par les autorités, puis ils se chargent de récupérer l’avance en faisant de forts bénéfices sur les contribuables qui passent entre leurs mains. «La collecte de l’impôt était souvent affermée au plus offrant, observe Brown, de sorte qu’une taxe considérée comme oppressive pouvait l’être soit par elle-même, soit par la cruauté et l’avidité du collecteur.»

L’un des impôts les plus impopulaires était l’impôt sur la personne ou captation. Pour établir le montant de cet impôt, les autorités doivent connaître le nombre d’hommes vivant dans chaque province ou chaque territoire. D’où la multiplication des recensements. A l’époque de Jésus, cet impôt représentait environ un jour de salaire d’ouvrier, soit un denier par personne. Une taxe qui s’ajoute à une autre contribution, différente: la dîme pour le Temple de Jérusalem. Hugues Cousin confirme: «Les impôts représentent une lourde charge pour une économie qui a déjà subi les dépenses exagérées des Hérode; ils sont surtout humiliants pour une population consciente de son particularisme et soucieuse de ne se soumettre qu’à son Dieu. Les impôts sont le signe visible que la terre d’Israël a un maître autre que le peuple juif.»

Sources:

– Entretien avec Andreas Dettwiler, professeur de Nouveau Testament à la Faculté autonomede théologie protestante de l’Université de Genève.

– Entretien avec Didier Berret, diacre, bibliste et professeur de sciences religieuses au lycée cantonal de Porrentruy.

– Que sait-on du Nouveau Testament? Raymond E. Brown, Bayard.

– Géopolitique de l’Empire romain, Yann Le Bohec, Ellipses.

– Le Monde romain de 70 av. J.-C. à 73 ap. J.-C. , sous la direction de Jean-Pierre Guilhembet et Yves Roman, Ellipses.

– Le Monde où vivait Jésus , sous la conduite d’Hugues Cousin, Editions du Cerf.

– Trésors des temps évangéliques , Alan Millard, Sator-Cerf.

L’homme fort qui monte alors, c’est Hérode le Grand, fils d’Antipater