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«Je m'appelle Dada et je suis un garçon»: le casse-tête des prénoms exotiques

A Zurich, un couple a gagné 10 000 francs parce qu'il a donné à son bébé le doux nom de Dada.Dans les grandes villes suisses, les responsables observent une hausse de prénoms originaux. Que dit la loi?

Dada a poussé son premier cri le 6 février à Zurich. Dada par ci, dada par là. Même le quotidien alémanique Blick lui a réservé une pleine page jeudi. Un prénom pareil, ce n'est pas tous les jours qu'on en voit. Il faut dire que la naissance de ce garçon s'est passée dans un contexte particulier. Ses parents ont en effet remporté le concours lancé lors de la réouverture du Cabaret Voltaire, antre du dadaïsme, dans le quartier du Niederdorf de Zurich. Dix mille francs pour qui prénommerait «Dada» son enfant né en février, mois de l'anniversaire du Cabaret. Pour le directeur des lieux, cette initiative se veut une mise en question des limites de l'art et de la vraie vie. Philipp Meier: «On peut bien sûr s'interroger sur les retombées du prénom pour l'enfant mais, ici, le cas est un peu particulier.» Explications: le père du petit Dada n'a pas d'attache particulière avec le courant artistique de Hugo Ball et Tristan Tzara mais il vient du Nigeria. Et, dans son pays, «Dada» signifie «le prince». «Cette particularité a guidé notre choix entre les sept couples candidats», poursuit Philipp Meier.

Reste que Dada n'est pas un cas unique. Surtout pas dans des villes à forte densité d'étrangers, comme le sont Zurich ou Genève. Les responsables de l'état civil observent une multiplication de prénoms plus ou moins exotiques. «Chamina et Maria. Et de quel sexe sont vos enfants? Ah! deux garçons.» Certains usages se modifient. Ainsi le «a» traditionnellement lié au féminin en fin de prénom est aussi utilisé pour les garçons, observe-t-on au bureau de la ville de Genève.

Depuis 1994, date d'une modification de l'ordonnance fédérale sur l'état civil, les parents sont libres dans leur choix, ou presque. Seule restriction, plutôt floue, le prénom ne doit pas porter préjudice à l'enfant ni se limiter à une seule lettre. «Nivea» ou «Abruti» n'auraient guère de chance. Mais tout reste subjectif. Et, encore une fois, il s'agit de considérer et de tolérer les cultures étrangères, la tradition des parents. A Genève, on se souvient d'un couple de religion musulmane qui voulait appeler son bambin «Dieu». «Nous avons conseillé la mère de revenir sur son choix», explique une cheffe de section. En cas de problème, très rare, c'est la Direction cantonale de l'état civil qui entre en jeu à Genève. Tout cela peut aller jusqu'au Département de justice du canton.

Au-delà de l'origine des parents, c'est parfois leur goût pour le symbolisme, leur créativité, ou le temps passé devant les séries TV américaines qui s'expriment. Faisant fi des lois élémentaires de la linguistique et de l'euphonie, faisant parfois de la poésie en laissant rimer nom et prénom. Tiens, Alexanne, c'est bien sûr une combinaison du prénom du père et de la mère. En 1992, l'officier de l'état civil de Neuchâtel a refusé d'inscrire le prénom «Djonatan», en raison de sa graphie. Le Département de justice a déclaré mal fondé le recours des parents, qui sont allés jusqu'au Tribunal fédéral. En vain.

Même les stars rivalisent d'originalité. Les jumeaux de l'actrice américaine Julia Roberts s'appellent Hazel («Noisette») et Phinnaeus, un prénom qui serait dérivé de Pinhas, un prénom biblique. Au-delà des prénoms courts, et des diminutifs comme Tom, Léo ou Emma, très en vogue si l'on en croit le guide français La cote des prénoms 2005, on chérit les modifications orthographiques. Mélanie devient Mélanye ou Marine se mue en Maryne. Le même guide place Enora, Logan, Titouan, Gabin au rang des prénoms de demain.

Pourtant, les statistiques, pour le moins en Suisse, penchent plutôt vers le classique et la pérennité. En 2003, Alexandre et David se sont partagé la première place du hit-parade masculin en Suisse romande. Place occupée depuis1997 par Luca en Suisse alémanique. Et chez les filles, c'est Lea qui caracole en tête des deux côtés de la Sarine.

Avec les nouveaux prénoms, les fichiers de la ville sont enrichis, sourit Elisabeth Meyer, directrice de la division naissance de l'état civil de Zurich. «Je peux vous dire que Dada figure dans notre dictionnaire international des prénoms, pour fille et garçon. Aux côtés de Dado et avec des références italiennes.» D'ailleurs, selon une source bien informée, le petit Dada né le 6 février dernier aurait déjà un homonyme dans la ville alémanique.