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Les chiffres le prouvent: les seniors convolent de plus en plus en justes noces. Des statistiques qui font croire au renouveau d’une institution vieille comme le monde

Mariage plus vieux, mariage heureux
Union Les chiffres le prouvent: les seniors convolent de plus en plus en justes noces
Des statistiques qui font croire au renouveau d’une institution vieille comme le monde
Du simple au double. C’est dans cette proportion qu’ont été multipliés les mariages des plus de 60 ans dans le canton de Genève ces dix dernières années. En 2004, le canton genevois ne célébrait que 13 unions seniors. En 2014, 23 couples se passaient la bague au doigt. Un chiffre un peu timide comparé aux années précédentes: en 2013 par exemple, l’Office cantonal de la statistique indique qu’ils étaient 78 à se dire «oui» au creux du Sonotone.
Parmi ces chiffres alignés dans les colonnes des tableaux Excel de l’Office fédéral de la statistique, il y a Mary-Claire, 64 ans, et Richard, 63. Le couple, qui se fréquentait depuis plusieurs années, s’est marié le 9 janvier dernier à la mairie d’Yverdon-les-Bains. On trouve aussi Guillaumette Sauvé et Pierre Boizot. Ceux-là, 62 et 59 ans, ont convolé à Lausanne le 30 juin lors d’une cérémonie civile. «Après avoir acheté un appartement à Lausanne, se marier est apparu comme le moyen le plus simple de régler la succession», explique Guillaumette au téléphone.
La sexagénaire ne s’est résolue à épouser Pierre, sans robe blanche et en présence de quelques amis seulement, qu’après sept ans de concubinage: «Au départ, nous n’étions pas trop emballés par l’idée du mariage. Pour l’un et l’autre, c’était la troisième fois, et nos expériences ne nous avaient pas particulièrement donné envie de récidiver.» Mais alors, derrière le mariage des seniors, qu’est-ce qu’il y a? Des motivations pragmatiques, liées à l’angoisse de la disparition, c’est sûr. Un certain attrait financier? «Nous nous sommes mariés pour nous protéger l’un l’autre et nos enfants en cas de succession, mais aujourd’hui, être mari et femme ne nous est d’aucun avantage pécuniaire», précise Guillaumette. On découvre aussi évidemment, derrière cette union, un sentiment solide qui permet à Pierre et à son épouse d’avoir confiance en l’avenir: «Cet acte au départ administratif nous a fait prendre du recul par rapport à nos précédents mariages. Nous trouvons dans cette union contractée à plus de 60 ans un sens plus profond. Peut-être sommes-nous plus conscients, plus mûrs, plus responsables.»
On se marie avec l’arrivée d’un enfant
Pour le sociologue de la famille Jean-Marie Le Goff, à l’Université de Lausanne, ces noces seniors passent la corde au cou d’une certaine idée du mariage. «En Suisse, explique-t-il, le mariage continue d’avoir un lien très fort avec la parentalité. La question du mariage se pose d’ordinaire avec l’arrivée de l’enfant. Dans cette mesure, les couples seniors qui se marient tendent à donner une nouvelle signification à cet engagement, qui peut alors être affranchi des carcans sociaux et se résumer au sentiment amoureux.»
Ces mariages helvètes ne dépassent pas le record de l’union la plus grabataire, détenu par des Britanniques vieux comme la pierre. Après vingt-sept ans de vie commune, George Kirby, 103 ans, et Doreen Luckie, 91 ans, se sont dits «oui» devant leurs familles et leurs proches le 13 juin dernier à Eastbourne, au sud de l’Angleterre. Un seul inconnu était présent dans la salle parmi la cinquantaine d’invités: un représentant du livre Guinness des records, chargé d’homologuer celui du couple. Lui en fauteuil, elle dans une robe fleurie bleue, coiffée d’un bibi comme seules les Britanniques en portent encore, George et Doreen sont ainsi devenus les plus vieux mariés du monde. A eux deux, les amoureux comptent 7 enfants, 15 petits-enfants et 7 arrière-petits-enfants. Bonjour l’héritage…
Le précédent record, de 191 ans cumulés entre les deux mariés, était détenu depuis 2002 par les Français François Fernandez et Madeleine Francineau. Depuis, d’autres unions médiatiques ont été célébrées dans l’Hexagone entre des seniors de 60 ans et plus. En 2014, Michel Legrand, 82 ans, épousait la princesse Maria-Magdalena Wladimirovna Gagarina, 74 ans, plus connue sous le nom de Macha Méril. Le compositeur et l’actrice se sont rencontrés en 1964 à Rio de Janeiro. Ils se retrouvent cinq décennies plus tard pour partager leurs vies et les exposer largement dans la presse. «On entend de plus en plus parler de mariés de plus de 50 ans, car certaines de ces unions sont très médiatisées, commente Jean-Marie Le Goff. Mais la majorité des mariages reste aujourd’hui contractée entre des personnes jeunes.»
L’âge moyen du mariage pour les hommes: 32 ans
En Suisse, l’âge moyen au moment du premier mariage recule tranquillement mais sûrement. De presque 29 ans pour les hommes en 1950, il a été estimé par l’OFS à près de 32 ans en 2013. La sociologie accuse l’allongement de l’existence, l’entrée plus tardive dans la vie active, et une défiance croissante envers le sacrement du mariage. Si Guillaumette et Pierre, Macha et Michel, ou Doreen et George ont sauté le pas à 50 ans largement passés, c’est tous après avoir connu des premières unions malheureuses. Peut-être ont-ils eu raison: selon certaines études, les mariages tardifs seraient plus solides. Mariage plus vieux, mariage heureux?
Pour Jean-Marie Le Goff, il faut aussi relever l’importance du facteur générationnel dans l’augmentation du nombre de mariages du troisième âge: «Les seniors d’aujourd’hui sont les baby-boomers d’hier, et ils sont très nombreux!» De quoi faire grimper en flèche les statistiques des spécialistes. D’autant que l’augmentation générale du nombre de divorces rend également ces soixante-huitards sur le retour davantage disponibles sur le marché. «On assiste à une véritable évolution sociologique. Avant, les femmes en veuvage, par exemple, étaient exclues du marché matrimonial. Et le taux de divorce était très faible.» Désormais, ni la vie sentimentale, ni même la vie sexuelle des super-seniors ne semblent plus être un tabou.
Les vieux? Des jeunes comme les autres.
Le fait est qu’aujourd’hui le troisième, voire le quatrième âge, repousse l’inexorable usure du temps: ils se marient, font du sport et se sapent à la mode; en témoigne la popularité d’Advanced Style, le blog d’Ari Seth Cohen, jeune photographe fashion branché qui aime les vieilles dames. Ils draguent, aussi: le marché des sites de rencontres francophones s’est ainsi adapté à cette nouvelle donne, avec des sites comme Netsenior.fr, Maxisenior.fr ou Senior-rencontre.com… Les vieux? Des jeunes comme les autres.
«Nous n’étions pas trop emballés par l’idée du mariage. Pour l’un et l’autre, c’était la troisième fois»