Marina Rollman file un drôle de coton
Portrait
L’humoriste genevoise s’amuse de nos petits travers et de notre époque chahutée, sur scène et à la radio. Elle a conquis Paris, et son aisance lui permet de voir plus grand. Elle rêve d’écrire un long métrage

Elle arrive d’un pas pressé à la terrasse du café. Marina Rollman s’excuse pour le léger retard, salue un inconnu dans la précipitation avant de plonger sa main dans une trousse de maquillage. Point de coquetterie futile dans ce geste. «Quand on est une femme, on ne peut pas juste être. On doit répondre à une certaine performance de la féminité», glisse l’humoriste, avant de fixer son regard au loin. «Vous avez un air triste», dit le photographe. «Je ne suis pas triste. Je suis fatiguée», confie-t-elle.
La veille, elle n’est pas montée sur les planches du Théâtre du Léman à la suite de la décision des autorités d’interdire les grandes manifestations. Cette saleté de coronavirus lui offre un répit inattendu. Son Spectacle drôle attire les foules parisiennes, ses chroniques sur France Inter cumulent les vues sur YouTube et ses apparitions en Suisse séduisent toujours.
«Tu viens manger avec nous à la place?» s’amuse un admirateur sur son compte Instagram, à l’annonce du report de son spectacle à Genève. Elle se contente d’embrasser son public, «enfin de loin», en bonne citoyenne qui respecte les recommandations officielles. «De manière générale, je trouve que l’imprévu est très intéressant. Je suis toujours surprise que le réel soit un peu malléable», sourit-elle, un double expresso à portée de main.
Construire une carapace
Le réel forme sa matière première. Elle ne le tord pas, elle accentue simplement les contrastes pour amuser son audience et la faire cogiter sur l’état de notre société. Devant sa Bande originale, nom de l’émission radiophonique à laquelle elle participe, Marina Rollman partage sa drôle d’humeur sur les bizarreries de l’amitié, les petits mots condescendants, les défenseurs bornés de Harvey Weinstein ou l’importance du consentement («bordel!»). Un juron lâché avec élégance, toujours. Une sensibilité progressiste et féministe qui s’exprime également sur scène. Cela lui vaut-il les quolibets d’une foule connectée?
«C’est un peu comme les publicités dans les boîtes aux lettres, on finit par considérer les messages désagréables comme du spam. Je dois me construire une carapace, ça devient une espèce de microentreprise en dehors de moi». Parfois, la volée de bois vert se déclenche de manière imprévisible. Comme lorsque l’humoriste se penche sur le «grand mystère du lévrier». La colère des amis des animaux, elle ne l’avait pas vue venir. Et la pique de Frédéric Beigbeder? «On a voulu présenter son livre comme un pavé dans la mare, mais je crois qu’il s’est un peu calcifié dans sa position du dandy provocateur», estime-t-elle, en référence au dernier ouvrage de l’écrivain sur les «petits rires autosatisfaits» sur France Inter.
Colère qui bouillonne
Son ressort comique ne repose pas sur la facilité, mais sur un travail d’écriture qui commence dès l’aube. Cette activité solitaire, qu’elle nomme joliment «mécanique sentimentale», ne vise pas à construire une bulle bobo parisienne. Marina Rollman s’attarde sur la «petite colère qui bouillonne» hors de la capitale.
«Un bout de la France ne s’estime pas représenté, pas écouté, pas montré, et juge qu’à Paris, une élite discute de sujets dont elle ne sait rien», observe-t-elle, avant de souligner la beauté du système fédéral suisse qui donne de l’autonomie aux territoires. Et de saluer, dans un élan d’enthousiasme, les revues humoristiques qui agissent comme une «espèce de catharsis» pour la population. L’humour local, remède de notre grand voisin mal en point! De la pertinence, des vannes et des idées qui fusent: Marina Rollman captive son interlocuteur.
Vecteur d’une histoire
Une énergie qui retient l’attention du cinéma. L’humoriste se mue en scénariste. Elle finalise un court métrage sur l’obsession du bien-être. Le yoga, la méditation, la thérapie, les petits soins du quotidien. «Bien souvent, c’est un emplâtre sur une jambe de bois», s’amuse-t-elle. Alors qu’elle songe à l’écriture d’un long métrage, la Genevoise fait des apparitions devant la caméra. Elle tient notamment un rôle dans l’adaptation de la série américaine Burning Love, parodie de la téléréalité The Bachelor, qui sera diffusée en octobre sur Canal+. «J’aime prêter ma voix, devenir le vecteur d’une histoire.» Avec un constat amusé: dépendre du désir de l’autre fait rétrécir l’ego.
Sa sincérité semble la protéger d’un tel excès de confiance. Ses débuts accidentés, aussi. En 2010, un concours d’humour organisé par le Montreux Comedy Festival tourne mal. Elle a 20 ans et finit par enchaîner les petits boulots. Au menu: vente de burgers dans une roulotte avec un couple d’amis. Il lui faudra cinq bonnes années pour remonter sur scène. L’humoriste reprend confiance en Suisse, un terreau qui fait émerger plusieurs talents comme Thomas Wiesel. «Je lui dois ma carrière», salue-t-elle.
Dans la conversation, Marina Rollman affiche ses ambitions avant d’avancer l’hypothèse d’une carrière de boulangère, comme pour marquer son détachement par rapport à la frénésie qui l’entoure. Ses proches lui permettent de trouver un équilibre et de prendre du recul sur le succès et les louanges médiatiques. Une force pour mener à bien ses projets: «Ma vie n’est que coton.»
Profil
1988 Naissance à Genève.
2009 Echec au concours de la Route du rire, organisé par le Montreux Comedy Festival.
2011 Babysitter pour Natalie Portman à Genève.
2017 Débuts d’«Un Spectacle drôle» et des chroniques hebdomadaires sur France Inter.
2020 Finalise un court métrage sur l’obsession du bien-être.
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