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Marina Rollman dans son nid d’humour

Exilée à Paris, chevillée à Genève, l'humoriste soigne ses contradictions à grosses doses d’autodérision

Visite chez Marina Rollman, humouriste suisse. — © Louise Desnos pour T Magazine
Visite chez Marina Rollman, humouriste suisse. — © Louise Desnos pour T Magazine

La veille au soir, elle s’est fait livrer des falafels qu’elle a mangés au lit en regardant RuPaul’s Drag Race, l’émission de téléréalité de la reine des drag-queens américaines. Quelques heures plus tôt, Marina Rollman donnait son Spectacle drôle au Théâtre de l’Œuvre, dans le IXe arrondissement de Paris.

Trois ans déjà qu’elle séduit les foules avec son seule en scène bourré d’intelligence au long duquel elle déroule ses considérations pratiques sur des sujets aussi sacrés que triviaux: les réseaux sociaux, le crossfit, les enterrements de vie de jeune fille ou la dépression. Le texte n’est pas figé. Matière vivante et remuante, il change au gré des représentations. Un trait d’humour chasse l’autre, l’actualité s’invite au détour d’un exemple, ses marottes du moment s’incrustent dans la conversation. Les soirs de grande forme, Marina Rollman teste de nouveaux effets de comique. Un exercice de voltige qu’elle anticipe sans rituel précis: «Je me mets dans la meilleure disposition possible, je m’hydrate bien, je me maquille et je me coiffe, j’accueille ma première partie, qui est généralement un ami ou une amie. Je pense au fait que je suis heureuse d’être là.»

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De la pub à la scène

Là, c’est sur scène plutôt que dans l’agence de publicité où elle a travaillé avant de se révéler comme humoriste, ou sur les bancs des différents cursus entrepris puis abandonnés. Où qu’elle soit, elle a toujours aimé écrire: «Des slogans quand je bossais dans la communication, mais aussi des SMS, des e-mails, des blagues que je distillais à mes proches.»

© Louise Desnos pour T Magazine
© Louise Desnos pour T Magazine

Dans un monde obsédé par les rituels, le bien-être et l’autodiscipline, Marina Rollman est d’une spontanéité rafraîchissante. Elle reçoit en chaussettes, s’excuse pour l’odeur du chien, pour le désordre qu’elle est la seule à remarquer et pour le contenu du frigo, exclusivement rempli de bouteilles d’alcool à bulles et de sauces piquantes. Elle revient d’une semaine en Suisse. En quelques jours, elle a fêté l’anniversaire de sa mère, joué à Neuchâtel et à Pully, avant de s’arrêter au GIFF pour commenter un film en direct avec Yann Marguet. «C’est doux d’y être, les gens sont contents de me voir. Je varie un peu les blagues, parce qu’en Suisse le public est moins nombreux. Il faut être rassembleur, toucher les 7 à 77 ans.»

Bulle bobo

© Louise Desnos pour T Magazine
© Louise Desnos pour T Magazine

Son mari, cofondateur du label musical We Release Whatever The Fuck We Want, a traîné des pieds lorsqu’elle lui a proposé de s’installer à Paris pour explorer de nouvelles pistes professionnelles. Mais le couple est une affaire de compromis. Le leur consiste à vivre entre leur quartier de Saint-Jean, à Genève, et le Marais, une bulle bobo qui rend l’expérience supportable: «Nous ne courons pas après l’argent, nous n’avons pas six heures de RER à faire pour aller au boulot et une vie sociale à reconstruire. On profite de Paris sans en souffrir les violences.»

© Louise Desnos pour T Magazine
© Louise Desnos pour T Magazine

Entre chaque mini-tournée helvète, elle rejoint sa base au pas de course et l’équipe de La Bande Originale de Naguy sur France Inter. Désarmante en croqueuse de travers contemporains, Marina Rollman et ses humeurs radiophoniques atteignent les 400 000 vues sur YouTube. Elle les écrit sur la table en marbre de son séjour, à portée de ses photos de famille et d’une bibliothèque où s’alignent les promesses des vies rêvées dont elle se fait souvent l’apôtre: I love female orgasm, How to stop feeling like shit, Trouver son point Génial et le Traité d’éducation du chiot.

Tyran perfectionniste

Elle peut mettre jusqu’à deux jours pour pondre son intervention si le tyran perfectionniste en elle la submerge, ou deux heures lorsqu’elle se laisse porter par le sujet. La dernière en date l’a frappée en pleine rue: «Je suis tombée sur cette affiche Siddartha, un opéra rock sur la vie de Bouddha. Il y avait tellement de contradictions dans les termes, il fallait que j’en fasse une chronique.» Le résultat est une étude comparative hilarante entre les services de livraison de colis, les toilettes du TGV et les vertus de la méditation.

Certains jours, elle s’attaque à des sujets plus consistants, comme la production de masse des contenus divertissants et les dérives des méthodes Netflix. Une réflexion étendue à son propre travail, à l’heure où elle rêve parfois de s’arracher au rythme de l’actualité pour développer l’écriture de courts et de longs métrages: «En consacrant plus de temps à un sujet, on produit des résultats plus durables. On dénonce la question du jetable dans nos consommations concrètes, mais la pollution immatérielle a aussi un poids. Une chronique, c’est tant de gigas occupés sur un serveur, ce n’est pas anodin. Quand tu contribues à alimenter ce flot, forcément, tu finis par te questionner. L’avenir des idées, ce serait peut-être de produire moins mais mieux.»

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Vue sur Pompidou

Comme tout le monde, elle jongle entre les impératifs de son rythme de vie et ses efforts pour réduire son empreinte écologique. Elle achète local et de saison, cuisine végane à défaut de s’astreindre à l’être, boude la fast-fashion et préfère toujours les transports en commun: «J’ai déjà perdu six gourdes. Alors oui, je suis parfois obligée d’acheter une bouteille en plastique lorsque je meurs de soif dans le train.»

En attendant, des plantes de caoutchouc poussent en silence chez Marina Rollman, comme pour trouer le paysage ultra-urbain qu’on aperçoit des balcons de son cinquième étage: les lucarnes des chambres de bonne de l’immeuble d’en face, le zinc des toitures et, plus loin, les boyaux bleus du Centre Pompidou.

© Louise Desnos pour T Magazine
© Louise Desnos pour T Magazine

Sur les murs du salon, elle a suspendu une composition textile de sa grand-mère, née au Japon dans une famille luxembourgeoise expatriée pour y faire commerce d’acier, et sa première œuvre d’art, une peinture de l’artiste d’origine mexicaine Lilian Martinez: «Pour mes 30 ans, j’ai demandé à mes amis de me faire une cagnotte pour m’offrir un tableau. Je n’ai jamais parlé des cagnottes dans mes chroniques, mais ça ferait un bon sujet. Cela dit, il faudrait d’abord que je parle des Smartbox. On s’est concentré sur Madoff alors que c’était sous nos yeux depuis le début. Le vrai problème vient d’elles.»

Teckel antiquaire

© Louise Desnos pour T Magazine
© Louise Desnos pour T Magazine

Quelques mots pris au vif et qui disent Marina Rollman dans toute sa verve. Elle parle comme elle pense et pense comme elle écrit, par digressions et par associations d’idées, se jouant volontiers d’elle-même, de ses névroses et de ses privilèges. Son teckel Ottavio? «Il fait semblant d’être un chien, mais je sais bien qu’il est antiquaire à Milan, qu’il porte des pantalons en velours côtelé rose et des lunettes rondes.» L’objet qu’elle emmène toujours avec elle en voyage? «Mes papiers d’identité.» Sa lecture du moment? Elle cite le magazine New Yorker, assigné à résidence au fond de son sac. Avant de préciser à voix basse que ce qui l’occupe beaucoup en ce moment, ce sont les comptes Instagram du responsable de la fermentation du restaurant danois multi-primé Noma et celui de Saipua, fleuriste new-yorkaise installée dans une ferme dédiée aux cultures naturelles.

Fabriquer des savons naturels, regarder paître ses moutons, sortir des tartes aux pommes du four qui ressemblent à des mandalas, elle s’en contenterait très bien: «Je ferai une excellente retraitée», ironise la Marina Rollman, qui se dit casanière. On peut y voir un euphémisme pour celle qui change de pays toutes les semaines. Ou un gage de stabilité pour tenir le burn-out à distance.

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