La pilule qui fait des vagues
Car aux dires des masculinistes, tous les maux viennent de là. «Les hommes gagnent plus, mais les femmes ont une vie plus équilibrée. Elles ont tort de penser que parce que les hommes gagnent plus, ils ont plus de pouvoir», défendait en janvier dans Le Monde, Warren Farrell, professeur d’université américain à qui l’on attribue la paternité du mouvement.
En 1993, son ouvrage sur le «mythe de la domination masculine» (The Myth of Male Power) lançait les hostilités. Vingt-cinq ans plus tard, les associations de défense des «droits des hommes» pullulent aux États-Unis et ailleurs. On en trouve en Europe, en Israël, et jusqu’en Inde. Au point que même les femmes épousent parfois la cause. C’est le cas de Cassie Jaye, journaliste américaine, dont le récent documentaire, «The Red Pill» (La pilule rouge) est en train de faire des vagues. Dans son film, la trentenaire au minois délicat se fait l’avocate de tous les masculinistes vedettes, notamment Paul Elam, fondateur de l’association «A voice for men» (une voix pour les hommes) qui, sur son site, n’hésite pas à comparer les «féminazies» au Ku Klux Klan.
Au fil des témoignages, tous entonnent à peu près la même complainte. Celles d’hommes qui «méritent la compassion», car les statistiques prouvent bien que leur condition est un sacerdoce: 75% des suicides sont commis par des hommes, 93% des victimes d’accidents de travail sont des hommes, sans oublier la garde des enfants, trop souvent confiée à la mère, etc. Un témoin va jusqu’à se lamenter que les femmes n’ont même pas à payer l’entrée en boîte de nuit.
Logiques racistes
Inutile de dire que «The Red Pill» reste en travers de la gorge des féministes, et les pétitions pour sa déprogrammation fleurissent sur «Change.org». Le film a déjà été annulé à Ottawa et Melbourne, et ses producteurs ont quitté le navire. Reste que le documentaire trace sa route en VOD, et une campagne de crowdfunding vient d’être lancée pour lui assurer une carrière internationale. «Les problématiques des hommes sont réduites au silence. La preuve, c’est qu’on veut me faire taire et mon film avec», clame Cassie Jaye, qui se présente désormais en martyre aussi haïe que la cause qu’elle soutient.
Et pourtant, personne ne nie les états d’âme du masculin, ni les dégâts causés par l’injonction à la virilité dans les études de genre. Le professeur de sociologie américain Michael Kimmel, spécialiste des masculinités, publie également de nombreux best sellers sur le thème (dont «Angry White Men», les hommes blancs en colère). Sauf que lui affirme que «le féminisme est bon pour les hommes». Du coup les masculinistes le vouent aux pires gémonies. «Ils ne veulent pas l’égalité mais imposer une vision figée des rapports sociaux, qui participe à la volonté de maintien des privilèges, et s’apparente à des logiques racistes, analyse Caroline Dayer, enseignante à l’Université de Genève et spécialiste en discrimination. Leur idéologie se fonde sur l’androcentrisme, c’est-à-dire que seuls les hommes et leur point de vue comptent. Ce discours est d’autant plus saillant dans un contexte de crise, pour barrer les avancées vers l’égalité concrète.»
Trump, sexiste en chef
Aux USA, les masculinistes sont suffisamment nombreux pour avoir porté leur champion sexiste fier de l’être Donald Trump au pouvoir. «Les mâles alpha sont de retour», se gargarisait, le jour de la victoire, Sebastian Gorka, le très controversé conseiller à la sécurité du président. Avant d’occuper ce poste, il était rédacteur en chef de «Breitbart», le site de Steve Banon – le conseiller chouchou de Trump – notoire pour ses articles misogyno-décomplexés: «Préféreriez-vous que votre enfant soit féministe ou qu’il ait le cancer?», «Il n’y a pas de discrimination à l’embauche pour les femmes dans la tech, elles sont justes nulles en entretien». Radical…
En France, c’est surtout Eric Zemmour qui porte haut les théories masculinistes selon lesquelles le féminisme est en train d’émasculer les hommes. «Faire croire à la disparition d’un âge d’or, d’une culture, d’une identité, est une ruse du pouvoir qui ne date pas d’hier. On trouve déjà des discours sur le masculin affaibli par les femmes au XVIIIe siècle, alors que les rapports de force ne se sont jamais inversés» constate l’anthropologue Mélanie Gourarier, auteure de «Alpha Mâle. Séduire les femmes pour s’apprécier entre hommes» (Seuil).
De l’art de draguer
Elle vient de s’immerger durant trois ans dans la communauté des «Pick up Artists», ces «artistes» autoproclamés de la drague qui, via des sites de techniques de développement personnel et des coachs en séduction aspirent à multiplier les conquêtes. «Ils parlent d’une masculinité en souffrance et veulent reprendre le pouvoir par la séduction. Mais s’ils parlent beaucoup des femmes, elles sont absentes. Dans cette communauté d’hommes, c’est l’entre soi masculin que l’on cultive avant tout.»
Une certaine idée de cet entre soi a suinté durant la révélation, en octobre dernier, d’une conversation «off» entre Donald Trump et le présentateur de la chaîne «NBC» Billy Bush, où le premier se vantait d’attraper les femmes par l’entrejambe, sous les ricanements appuyés du second. Depuis, Billy Bush a été licencié… et Donald Trump élu. Chez les masculinistes? C’est toujours le plus lourd qui gagne.