Son départ du TJ a fait la une des journaux, le moindre de ses mouvements suscite émois et commentaires. «Massimo» est une de nos rares vedettes populaires. Qu'en pensent ses parents? Il ne saurait dire, il parle, avec eux, de choses plus importantes: la famille, le quotidien «la vie quoi. C'est tellement plus important que la télé.»

Qui sont ses parents? Veut-il nous les raconter? Là, le journaliste, habituellement plutôt volubile, change de ton et de couleur. Méfiant, pour les protéger de l'indiscrétion. Emu, à l'idée de rendre hommage à ceux dont il est «si fier». Finalement, il leur a parlé, il les a convaincus, il se sent autorisé à raconter. C'est une histoire d'immigration. Une histoire unique, comme toutes les autres.

‘‘Mon fils Jules a 4 mois, et son arrivée a remué beaucoup de choses en moi. J'ai beau être arrivé à Genève à l'âge de 7 mois, tout ce qui resurgit est teinté d'italianité. Je viens vraiment de là-bas, et mon petit bonhomme aussi, un peu.

» Toute ma famille est en Italie, sauf mon père, ma mère, mon frère Mauro et moi. Mon père a d'abord émigré en Suisse alémanique, où il a travaillé sur les chantiers. Ensuite, il a eu une autorisation de séjour et il nous a fait venir, en février 1962. Mes parents sont infiniment attachés à cette Suisse, qui les a accueillis et qui a donné à leurs enfants ce qu'ils n'ont pas eu: un accès aux études et des perspectives professionnelles.

» Ils sont tous les deux, Alferio et Vittoria, originaires de la même vallée, le Val D'Astico, dans le nord de la Vénétie, aux confins du Haut-Adige. A quelques kilomètres de là, on parle allemand. Mais notre langue, c'est le vénitien. Encore aujourd'hui, en famille, c'est la seule langue que nous parlons.

» Ils sont du même endroit, mais pas du même milieu. Ma mère vient d'une famille plus riche, plus cultivée. Sa mère, Stefania Canestrari, était maîtresse d'école de grande réputation, et je n'ai jamais entendu les gens l'appeler autrement que «la maestra». Elle venait d'une famille aisée de Vérone, et elle avait été mutée là, je ne sais trop pourquoi.

» De mon grand-père maternel, Moro Sella, surnommé El Moro, j'ai un souvenir uniquement physique: il mesurait deux mètres, il avait un sourire carnassier, et il faisait grande impression, surtout à côté de ma grand-mère, qui était la douceur faite femme. Il faisait partie de l'armée régulière, et il a été prisonnier en Ethiopie plusieurs années. Le père de mon père, en revanche, avait été un antifasciste de la première heure. On m'a toujours beaucoup parlé de lui, et pas de celui qui avait fait le mauvais choix.

» Ce clivage entre les familles de mon père et de ma mère, je n'en ai pris conscience que bien plus tard: jusqu'à l'adolescence, j'ai passé toutes mes vacances dans la vallée, où je passais d'une maison à l'autre, elles étaient séparées de quelques kilomètres, et il y avait entre elles une grande harmonie. J'étais le prince, le plus heureux des mômes, je ne me suis jamais aperçu de rien.

» Le Val D'Astico ressemble au val d'Anniviers. J'y ai vécu des journées fabuleuses d'aventure et de liberté, c'était mon Far West. J'en conserve une profonde nostalgie. Je vais y aller cet été, avec mon fils.

» Du côté de ma mère, il y avait un domaine, avec des bêtes, une certaine forme d'opulence. Les Sella, étaient des gens sans l'accord desquels rien d'important ne se faisait dans la vallée. Et très catholiques. Ma mère a été élevée dans le culte de la Démocratie chrétienne. Mes grands-parents paternels, eux, étaient de tout petits paysans. Assunta était du haut de la vallée, Giuseppe, dit Beppi, du bas. Je revois Beppi: un petit bonhomme sec et solide, qui dégageait une bonté et une douceur immenses. Toujours mal rasé. Il avait des ruches, et il les déplaçait à mains nues, sans la moindre protection. J'étais éperdu d'admiration. Il me disait: «Les abeilles connaissent les gens, il faut leur parler.» Ses maigres possessions de paysan ne suffisaient pas pour les faire vivre, alors Beppi a travaillé sur les chantiers, où il a emmené ses trois fils.

» Mon grand-père nous disait: «J'ai été prisonnier à Mauthausen, et je me suis échappé.» Puis: «J'ai fait la Première Guerre mondiale sur le Piave et j'ai été décoré de la médaille de l'ordre du mérite.» Ça faisait rire tout le monde, une médaille, et quoi encore? Lorsque j'ai vu la médaille en question, j'ai réalisé que tout était vrai. Beppi, lui, avait renoncé depuis longtemps à raconter.

»C'est mon père qui l'a fait. Mauthausen était un camp de prisonniers déjà durant la Première Guerre mondiale, et effectivement mon grand-père s'en est évadé, avec un Russe, qui s'appelait Vladimir. Le premier fils de Beppi, mon oncle, s'appelle Vladimir.

» Durant la Seconde Guerre mondiale, mon grand-père a été proche des résistants. C'était un communiste fervent, religieux. Il pensait que le paradis existait et qu'il était là-bas, chez Staline, où personne n'exploite personne. Il est mort avec sa foi intacte, en 1978, avant de savoir. Heureusement pour lui.

» Ma grand-mère, elle, était catholique jusqu'aux chevilles. Le soir, elle priait à sa fenêtre. Mais ce n'était pas un sujet de conflit: Beppi pensait que Dieu était avec les communistes. Assunta était une vraie paysanne, avec son éternel mouchoir bleu attaché sur l'arrière de la tête, qu'elle nouait en foulard pour aller à l'église. Un jour, elle m'a dit: «Je ne sais pas ce que tu feras plus tard, mais je veux que tu viennes me le raconter, sur ma tombe.» Elle est morte le jour où je passais mon dernier examen en Hautes Etudes internationales. Mes parents ont attendu le lendemain pour m'annoncer la nouvelle. Comme à chaque fois, je retournerai, cet été, au cimetière.

» Alferio, mon père, est né en 1932. Il a quitté l'école à 13 ans pour suivre son père sur les chantiers. C'est un homme d'une droiture et d'une rigueur absolues, un chêne. Et doux, avec ça. Il est arrivé ici comme maçon, il a travaillé dans une grande entreprise du bâtiment et a gravi un à un les échelons jusqu'à devenir le responsable de la supervision des chantiers. Mais je n'ai jamais entendu personne dire qu'il était opportuniste. C'est vraiment l'homme le plus honnête que j'aie rencontré, je suis très fier de lui. Il faut le voir travailler, même s'il ne fait que donner un coup de main à un copain, il s'engage corps et âme dans ce qu'il fait. Maintenant il a 66 ans, et l'entreprise à laquelle il a consacré sa vie a fait faillite. Heureusement que ça ne s'est pas passé avant, il se serait effondré. Je tiens de lui une sorte de détermination qui frise l'obstination.

» Ma mère, elle, est restée à la maison et a apporté le même soin à son foyer que mon père à son travail. Plus anxieuse que lui, plus tourmentée. Il faut dire qu'elle a perdu trois frères. Deux quand ils étaient enfants, de maladie, et le troisième à cause d'un accident de chantier. Il lui reste une sœur, et le hasard a voulu qu'elle épouse le frère de mon père.

» Nous habitions rue de Candolle, dans un trois-pièces au sous-sol, ma mère assurait la conciergerie. Mes copains s'appelaient Starobinski, de Coulon, Goretta. Je voyais bien, en allant chez eux, qu'ils étaient d'un autre monde. Mais quand ils venaient chez nous, ma mère se mettait en quatre pour les accueillir, tout était bien, et j'étais à l'aise. Je n'ai jamais eu honte d'être fils d'ouvrier et fils d'immigré. C'est probablement une caractéristique de la Suisse, cette cohabitation de gens si différents. C'est aussi le grand mérite de l'école publique. D'un autre côté, ce pays doit énormément à des gens comme mes parents, qui ont contribué à sa prospérité.

» Avec mes potes, j'ai passé des après-midi entiers au parc des Bastions, dont je connais le moindre centimètre carré. Ensuite je franchissais le seuil de la maison, et j'étais en Italie. Les différences se mariaient et se mélangeaient, j'ai vraiment vécu ça, c'est pourquoi je crois profondément au métissage et à l'intégration.

» Ma compagne est Genevoise, et elle vient d'un milieu beaucoup plus aisé. Je trouve que les deux grands-pères de Jules se complètent très bien.''

Qui sont vos parents, et les parents de vos parents? Chaque samedi, les invités de cette page «Filiations» acceptent de répondre à cette petite, et très grande, question.