Hollywood adore les histoires de rédemption. Celles-ci se déroulent en trois temps: le héros mord la poussière, fait amende honorable, puis repart triomphant vers le soleil couchant. C'est vrai à l'écran, mais aussi à l'ouest de Los Angeles. Combien de stars ont-elles fini au poste pour cause d'ébriété (Errol Flynn, Nick Nolte), bagarre (Frank Sinatra), drogue (Robert Mitchum, Robert Downey Jr) ou comportement obscène (Hugh Grant) avant de payer la caution, de s'excuser puis de reprendre le chemin des studios? Beaucoup, à l'évidence. Seules quelques célébrités tombent en disgrâce durable, comme l'acteur Robert Blake récemment, accusé il est vrai d'avoir trucidé sa femme sur un parking. C'est l'exception. Pour le reste, le rachat et le salut prévalent.
Qu'en sera-t-il avec Mel Gibson? Tombé bas pour un comportement et des mots qu'il qualifie lui-même de «méprisables», l'acteur se relèvera-t-il? Sans doute, mais la partie n'est pas gagnée d'avance.
Aux petites heures de vendredi dernier, Mel Gibson, 50 ans, a quitté en voiture un bar-restaurant de Malibu, célèbre banlieue chic de LA plantée au bord du Pacifique. Il était si imbibé d'alcool que les responsables de l'établissement lui ont proposé de le ramener chez lui, également à Malibu. En vain. Peu après, l'acteur-réalisateur a été arrêté pour excès de vitesse par le shérif adjoint James Mee. La Lexus LS de Gibson filait à 140 km/h, le double de la vitesse autorisée. Le policier s'est rendu compte que la star avait l'haleine chargée. Il lui a demandé de descendre de voiture. Une bouteille de Tequila Cazadores, cachée dans un sac brun, était posée sur le siège du passager.
Selon le constat du policier, rendu public vendredi par un site Internet spécialisé dans les ragots hollywoodiens, puis par d'autres médias, la situation s'est envenimée. Refusant de monter dans le véhicule de police, Mel Gibson a dû être menotté. Une fois dans la voiture de police, l'acteur a menacé le shérif adjoint, avant de lui demander s'il était juif (ce qui est le cas) et de multiplier les insanités antisémites, dont «Les Juifs sont responsables de toutes les guerres du monde!»
Inquiet par le comportement de Mel Gibson à l'arrière de la voiture, James Mee a demandé par radio de l'aide pour son arrivée au poste, qu'il pressentait mouvementée. Une policière a filmé en vidéo l'entrée de Mel Gibson dans le poste, ce qui lui a valu une bordée d'injures sexistes. Le taux d'alcool de l'acteur était alors de 1,2 pour mille, alors que la limite légale en Californie est de 0,8 pour mille. Mis en cellule avant d'être mis en garde pour avoir tenté d'uriner sur le sol et de casser un téléphone, Mel Gibson est ressorti vendredi matin du poste après avoir payé 5000 dollars de caution. Il devra se présenter devant un juge le 28 septembre. Il a présenté samedi ses excuses, admettant avoir «dit des choses que je ne crois pas» et «lutté toute ma vie d'adulte contre l'alcoolisme». Lundi, Mel Gibson est entré dans un centre de désintoxication. Hier, la star a renouvelé ses excuses, demandant pardon à la communauté juive: «S'il vous plaît, sachez que je ne suis pas un antisémite. Je ne suis pas intolérant. La haine, quelle qu'elle soit, va à l'encontre de ma foi.»
Comme l'a révélé le Los Angeles Times, la direction de la police du comté de Los Angeles enquête sur le premier constat de l'incident, qui aurait été édulcoré par les responsables du poste de Malibu. Ces derniers auraient craint que les propos antisémites de Gibson créent un scandale, surtout en plein conflit proche-oriental. Une autre raison serait le soutien que l'acteur a apporté à plusieurs reprises aux policiers locaux, notamment en prêtant son image à des clips ou par des dons financiers. Les pandores de Malibu nient avoir censuré les faits.
Beaucoup, aux Etats-Unis, rappellent les antécédents de Gibson, catholique intégriste, dont le propre père est un révisionniste notoire. Déjà suspecté d'antisémitisme à la sortie de son film controversé La Passion du Christ, Mel Gibson avait tenté de se distancier de son père et de nier toute haine personnelle envers les Juifs. «In vino veritas!», clament désormais ses contempteurs, ou ceux qui sont choqués par la découverte de son intolérance alcoolisée.
L'incident ne finit pas de déclencher des réactions en cascade. La chaîne de télévision ABC a annulé la minisérie sur l'Holocauste que devait produire Icon, la société de production de Mel Gibson. En revanche, Walt Disney espère toujours distribuer en décembre le nouveau film de la star, Apocalypto, dont l'action épique se déroule sous l'empire maya. Mais la cure actuelle du héros des Mad Max et autres Arme Fatale pourrait retarder la postproduction du film.
A Los Angeles, des producteurs, agents, patrons de studios, organisations juives et médias ont condamné le comportement de Mel Gibson. Certains ont appelé à son boycott. D'autres observateurs estiment que l'affaire devrait se tasser d'elle-même. Ou que Gibson, vu son poids financier après le succès massif de La Passion du Christ, a moins besoin d'Hollywood que la capitale du cinéma n'a besoin de lui. Plus amer, un éditorialiste du magazine en ligne Salon constate que l'éruption fielleuse de Gibson s'éteindra d'elle-même vu le climat actuel d'intolérance aux Etats-Unis. Dès lors, comme le note Salon, il y a peu de chance que «ce bigot soit un jour marginalisé».