Même s’il change de sexe, mon enfant reste mon enfant
Transition
Dans «Sous la peau», Robin Harsch suit la transformation identitaire de Söan, Logan et Effie Alexandra. Il filme aussi les parents qui, après le choc de l’annonce, ont accepté d’accompagner leur enfant

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«Quand on se connecte vraiment, c’est notre enfant dont on parle. C’est la prunelle de nos yeux, l’extension de notre chair, notre sang. Dans tout cela, il n’y a pas de genre, il n’y a pas de «il» ou «elle». Ce qui reste, c’est l’enfant.» Karine est la mère de Söan, un jeune trans genevois dont le réalisateur Robin Harsch a suivi la transformation de fille à garçon durant deux ans. Karine dit encore. «Pendant quinze jours, j’ai eu la sensation d’avoir perdu mon enfant, il a fallu quelques mois pour que j’accueille la transformation. Mais Söan est tellement plus heureux maintenant que ça m’encourage.»
Sous la peau, très beau documentaire consacré à trois jeunes Romands qui changent d’identité sexuelle, a ce double mérite: montrer que, pour les concernés, cette transition est une absolue nécessité. Et montrer aussi que lorsque l’entourage familial coopère, le risque suicidaire diminue de manière spectaculaire. Tourné en collaboration avec Le Refuge Genève, un espace d’accueil pour jeunes LGBTIQ en difficulté, ce film change notre regard en profondeur, car il ose poser la question du bouleversement que traversent les parents. A découvrir dès le 11 mars, sur les écrans romands.
«Petite, je me suis jamais sentie comme un garçon. J’étais une fille avec des organes génitaux différents. Je dirais même que j’avais un pénis de fille! Je pensais parfois: un jour il va tomber, je me réveillerai et ce pénis ne sera plus là.» Effie Alexandra, jeune femme au sourire ravageur, vient du Panama. Elle n’a pas pu rester dans son pays, car, après avoir créé une association pour la défense des personnes trans, elle a été violemment rejetée.
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Dès le début du film, Effie Alexandra frappe par sa féminité. Pourtant, elle préfère rester chez elle, effrayée par les piétons qu’elle sent hostiles. C’est que la jeune femme attend avec impatience sa libération. C’est-à-dire l’opération qui lui permettra d’implanter des prothèses mammaires et, plus tard, une seconde intervention, plus longue, où, à partir de son pénis et de son colon, un médecin lui construira une cavité vaginale ainsi que des grandes et petites lèvres. «Je suis super pressée!» se réjouit la jeune femme. «Ça va être le début d’un grand parcours», tempère le médecin.
Un grand parcours, c’est aussi ce qu’accomplissent Söan et Logan, qui deviennent les garçons qu’ils ont toujours été. «Après trois mois sous T, pour testostérone, annonce Logan, tu vois déjà des changements. Mais le traitement dure deux ans.» De fait, dans le film qui couvre cette période, la transformation est stupéfiante. Au début, entre la finesse du visage et la voix, le féminin fait encore sa loi. Mais, très vite, au gré des injections, le corps s’épaissit, la voix aussi, le muscle se dessine et, à la fin du processus, chez Logan et Söan, le masculin n’est même plus une question, c’est un état.
La transition à l’épreuve de l’école
Logan, qui est entouré de sa mère et de sa petite amie, a une obsession: se faire opérer des seins, pour pouvoir se baigner à la plage. «Sous les habits, je porte un binder qui me bande la poitrine, mais je ne pourrais jamais montrer mon torse nu avant de subir une ablation», explique-t-il. Il sera exaucé en juin 2018, et c’est avec fierté qu’il dévoile le résultat à Söan, lors d’une fête du Refuge.
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Un autre moment intense autour de Logan? Lorsqu’il présente sa décision de transformation aux professeurs de son école et qu’il leur demande de l’appeler par son nouveau prénom. Posément, il explique aux enseignants qu’il s’est toujours senti garçon et qu’à 10 ans, il se demandait pourquoi il n’était pas comme ses camarades masculins. Il ajoute que son désarroi l’a amené à se scarifier et même à tenter de se suicider.
Face à la transformation, un enseignant salue son courage, un autre le prie de l’excuser si sa langue fourche parfois et qu’il se trompe de pronom. Un troisième, sans doute le professeur de gym, se demande s’il doit toujours noter Logan selon les barèmes féminins ou s’il lui appliquera désormais les barèmes masculins. Le jeune homme est radical: il souhaite être évalué comme les garçons, même s’il doit se battre pour arriver à un résultat satisfaisant.
Et les papiers, alors?
Un jour, on retrouve Logan en colère. Il en a assez de subir des regards intrigués quand il présente ses papiers d’identité ou sa carte d’assurance maladie, qui annoncent encore une fille. Sa mère tente de le raisonner en disant que l’étonnement est normal, mais Logan ne décolère pas. Comme Söan, les deux jeunes vont entreprendre des démarches pour modifier leurs papiers et obtenir une décision de justice reconnaissant leur nouvelle identité sexuelle.
Des trois jeunes filmés, Söan est le plus tourmenté. Au début du documentaire, Karine, sa mère, raconte la phobie des autres dont il souffre, ses attaques de panique, ses hospitalisations pour le mettre à l’abri, le suivi psychologique qui n’aboutit à aucun diagnostic. «Je me sens tellement impuissante, c’est insupportable!» regrette Karine. Alexia, coordinatrice du Refuge, assure qu’elle va «prendre le relais» et que l’état de Söan va s’améliorer au fil de la transformation.
«Qu’est-ce que j’ai fait de faux?»
Si Karine est vite montée dans le train de la transition, Eric, le papa de Söan, a d’abord buté sur l’idée: «Vous rigolez ou quoi? Je peux pas dire «bonne nuit, ma grenouille» un soir, et, le lendemain, «salut Néandertal, je vais faire de la muscu avec toi»! s’exclame-t-il, avant de développer. «Est-ce que j’ai donné la bonne éducation? Qu’est-ce que j’ai fait de faux? Est-ce que c’est par rapport au divorce? Qu’est-ce qui a merdé?»
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Des questions le taraudent, la culpabilité aussi et enfin des doutes sur la fiabilité du processus: «Au Refuge, c’est un peu le pays des Bisounours. Si ça ne marche pas, la transformation, qu’est-ce qu’on fait? On se retrouve devant un monstre point d’interrogation, non?… En tout cas, j’espère que cet acte est mûrement réfléchi.»
Manon Zbinden, du Refuge, comprend les préoccupations des parents. Mais elle assure qu’il y a plus de risques de suicide si un jeune n’est pas entendu dans son malaise identitaire – 70% des jeunes trans ont des idées suicidaires et un sur trois passe à l’acte – que si une transformation est mal négociée. Et l’importance des parents est immense, poursuit la coordinatrice. «Lorsque les parents collaborent à la transformation, le risque suicidaire diminue de 93%.»
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Eric, le seul père qui a accepté de témoigner, a dû entendre cette observation à distance. Deux mois après le premier entretien, il apparaît tout sourire aux côtés de Söan qui vient de faire changer ses papiers d’identité et qui rayonne de voir son papa mieux disposé. «J’ai encore une acceptation à faire, reconnaît Eric, mais je suis sur le chemin. T’es mon gamin, je ne vais pas te renier.»
«Sous la peau», sortie le 11 mars, rencontres avec le public organisées cette semaine dans toute la Suisse romande.