Il a le physique de ces gens qui tiennent peu en place, genre hyperactifs. Corps musculeux, sec. Nous avions été prévenus: «C’est une pile électrique, chargée à 100%.» Les traits du visage semblent en mouvement perpétuel, mués par une pensée qui elle aussi, sans doute, va vite. Il aime les sauts rapides dans le temps, évoque son enfance, parle dans la minute qui suit de ce monde d’aujourd’hui qui le tourmente.

Il montre le glacier, au-dessus des Diablerets: «Depuis mon arrivée ici en 2010, je le vois se transformer, comme une lente disparition.» Bondissant, voilà le qualificatif qui sied à Michael Liebreich. De 1986 à 1993, il a été membre de l’équipe britannique de ski acrobatique, champion national en bosses en 1991, a participé à des Coupes d’Europe et du monde en freestyle, a représenté son pays aux Jeux olympiques d’Albertville en 1992. «J’ai fini 32e, pas mal pour un compétiteur dont le statut était quasi celui d’un amateur», dit-il avec un accent so British.

Le Français Edgar Grospiron avait remporté la médaille d’or. «Lui, il skiait depuis l’enfance, était un pro, moi je m’entraînais au grand maximum dix semaines par an à Zermatt ou à Val d’Isère.» Né à Northolt (GB) d’une mère tchécoslovaque et d’un père autrichien, le petit Michael découvre tardivement la montagne. En tombe amoureux. Mais c’est à Londres qu’il vit et étudie. Il y décroche une maîtrise en ingénierie à l’Université de Cambridge et un MBA en thermodynamique à la Harvard Business School (mécanique, nucléaire, dynamique des fluides), devient businessman, il a le sens des affaires.

Un «collapse» de 99%

Entre 1995 et 1998, il est tour à tour directeur général adjoint de l’Associated Press Television et directeur fondateur de Sports News Television, devient aussi pour le Royaume-Uni le directeur général d’une filiale du Groupe Arnault. En 2000, l’éclatement de la bulle internet est pour lui comme pour tant d’autres «un désastre». «Un collapse de 99%, je valais dans les 30 millions de dollars, j’étais redescendu à 300 000.»

Il voyage, s’adonne à l’alpinisme et à la plongée sous-marine. S’intéresse de plus en plus aux différentes énergies. La seconde guerre du Golfe, la crise pétrolière et le changement climatique incitent Michael Liebreich à regarder ailleurs, voir autrement et plus loin. «Je pressentais l’avènement de l’éolien, du solaire, de l’intelligence artificielle, le big data», explique-t-il. Il fonde en 2004 New Energy Finance, qui fournit aux investisseurs des informations dans le domaine des énergies propres.

En 2007, il emploie 15 personnes qu’il rétribue en empruntant de l’argent. En 2009, lorsqu’il revend sa société à Bloomberg LP, ils sont dix fois plus de salariés. Il participe à l’initiative «Energie durable pour tous» lancée par Ban Ki-moon, le secrétaire général de l’ONU de l’époque. En 2010, il marque une pause, tient à passer du temps auprès de son épouse Alice et de leurs enfants en bas âge. Il possède une maison à Londres, acquiert un chalet aux Diablerets, station qu’il juge plus authentique que celles de Verbier ou Gstaad.

Il fonde dans la vallée des Ormonts l’association Ecovillages avec le soutien plein et entier des élus locaux. «J’ai observé les compétitions auxquelles se livrent des stations alpines comme Chamonix, Avoriaz, La Clusaz, elles deviennent des parcs d’attractions, comme si elles étaient en voie de redbullisation», regrette-t-il. En 2012, l’homme de réseau qu’il est devenu ouvre son carnet d’adresses, convie au pied du glacier de Tsanfleuron une pléiade de spécialistes et de décideurs pour parler d’économie verte, «thème débattu en plaine mais peu en moyenne et haute montagne».

Un rendez-vous européen

Ce sera le premier forum Ecovillages, initialement baptisé Shift to the Green. Depuis, six autres ont été organisés, ouverts au monde économique, touristique, politique et au grand public. On y parle d’énergie verte applicable aux villages de montagne, d’architecture «pour un futur durable» (l’architecte Toshiko Mori s’est déplacée en 2014), de mobilité douce. «Le forum se veut un rendez-vous européen des bonnes pratiques en matière de transition durable, il dessine les contours de ce que peut être un smart village avec par exemple un réseau de bus et des panneaux solaires», résume-t-il.

L’idée est aussi de réfléchir aux étés devenus plus longs, à la hauteur de neige qui diminue et aux impacts sur l’économie locale. Il a été épaulé à ses débuts par son complice Thomas Schmidt, disparu tragiquement en 2013. A failli alors tout arrêter. Mais d’autres l’ont rejoint, comme Thierry Meyer, ancien rédacteur en chef de 24 heures, et Corinne Feuz, de Mediacom à l’EPFL. Michael Liebreich anime une quarantaine de conférences par an à travers le monde portant sur les énergies, les transports propres, la finance climatique. «Le meilleur contenu est ici, aux Diablerets», assène-t-il. Thème du forum 2019 qui se tiendra le 6 septembre: «Le partage du savoir durable».


Profil

1963 Naissance à Northolt (GB).

2004 Fonde New Energy Finance Ltd.

2009 Vente de New Energy Finance à Bloomberg LP.

2012 Première édition d’Ecovillages.

2019 8e édition d’Ecovillages/Moving Mountains.