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Migros autorise ses employées à porter le voile

Le géant orange a pris cette décision au nom du respect de la liberté de religion. Les directeurs des succursales devront protéger leurs employées musulmanes d'éventuelles agressions de la clientèle et ne pourront pas leur demander d'ôter leur foulard

La Migros a décidé d'autoriser ses employées musulmanes à porter le voile. Cette information, révélée hier par le quotidien alémanique Tages-Anzeiger, nous a été confirmée par la Fédération des coopératives Migros à Zurich. «Nos conditions de travail excluent toute discrimination religieuse, explique Monika Weibel, porte-parole. C'est pourquoi nous souhaitons considérer le désir de nos employées de porter le voile.» La Fédération communiquera sa position officielle aujourd'hui et ne souhaite pas en dire plus. Mais la section régionale de Zurich est plus loquace. Selon Urs Stolz, chef du personnel de la Coopérative Migros Zurich, la décision d'autoriser le port du voile a été prise vendredi dernier lors d'une réunion des chefs du personnel. «Si une employée souhaite porter le voile, elle devra avertir le directeur de la filiale pour laquelle elle travaille, explique Urs Stolz. Dans certains endroits où la clientèle risque de très mal réagir, nous ne pouvons autoriser le port du voile. Si un tel cas se présente, l'employée sera déplacée dans une autre succursale où une solution sera trouvée. La direction est en effet tenue de protéger l'employée. Mais en aucun cas elle ne lui demandera de renoncer au voile.»

Migros a pris cette position à la suite de la demande d'une de ses employées, qui avait récemment manifesté son désir de porter le voile sur son lieu de travail pour pouvoir vivre en conformité avec sa foi. Son employeur a d'abord préféré l'en dissuader, et ce sans réel outil juridique. Révélée il y a quelques semaines par le Tages-Anzeiger, l'affaire a provoqué de nombreuses réactions de lecteurs, souvent hostiles – voire très hostiles – au voile. Dans une interview donnée au Tages-Anzeiger il y a quelques jours, Anton Scherrer, PDG de la Migros, se montrait plutôt hostile à une décision d'ensemble: «Il existe certainement des régions où le port du voile ne gêne personn. Et d'autres où il provoque des réactions.»

Il semble que la volonté de respecter les convictions des employées musulmanes ait été plus forte que la colère de certains clients. «Beaucoup de personnes ont des préjugés contre le voile, dit Urs Stolz. Mais notre base légale n'est pas la même que celle de la France. Des juifs et des Sri-Lankais portant la kippa ou le turban travaillent aussi chez Migros, sans problème.»

Soit. Mais les musulmans eux-mêmes sont divisés au sujet du port du voile. Si certains le considèrent comme un devoir religieux, d'autres estiment qu'il n'est pas une pratique religieuse ni une prescription coranique, mais un symbole de discrimination sexuelle à l'encontre des femmes (lire ci-dessous). Dans un arrêt du 12 novembre 1997 concernant le recours d'une enseignante genevoise qui revendiquait de pouvoir porter le voile à l'école, le Tribunal fédéral a estimé que cette pratique contrevenait au respect de l'égalité entre les sexes. On peut lire ceci dans les considérants du TF, qui avait débouté la recourante après l'examen de sa situation particulière et après avoir minutieusement pesé le poids d'autres normes comme celles de la liberté confessionnelle et de la paix religieuse: «Par ailleurs, force est de constater que le port du foulard est difficilement conciliable avec le principe de l'égalité de traitement des sexes […]. Or, il s'agit là d'une valeur fondamentale de notre société, consacrée par une disposition constitutionnelle expresse (art. 4 al. 2 Cst.), qui doit être prise en compte par l'école.» (ATF 123 Ia 296)

Même si l'argument de l'incompatibilité du port du foulard avec le principe de l'égalité hommes-femmes l'embarrasse visiblement, Migros a décidé de ne pas en tenir compte. «Pour nous, le foulard est un symbole religieux», disent en chœur Monika Weibel et Urs Stolz. «L'arrêté du Tribunal fédéral s'applique à l'école, qui a une mission d'éducation et doit éclairer les élèves sur certaines pratiques, précise ce dernier. Dans le cas d'une entreprise, c'est différent. Nous devons respecter l'autonomie de nos employées.»

Présidente de l'Association culturelle des femmes musulmanes, Nadia Karmous se réjouit de la décision prise par Migros. «C'est une décision intelligente et porteuse d'avenir. Un beau geste d'intégration. Les femmes musulmanes font partie de la société et le port du voile relève aussi d'un choix délibéré, contrairement à ce qu'on croit parfois.»