Il semble que la volonté de respecter les convictions des employées musulmanes ait été plus forte que la colère de certains clients. «Beaucoup de personnes ont des préjugés contre le voile, dit Urs Stolz. Mais notre base légale n'est pas la même que celle de la France. Des juifs et des Sri-Lankais portant la kippa ou le turban travaillent aussi chez Migros, sans problème.»
Soit. Mais les musulmans eux-mêmes sont divisés au sujet du port du voile. Si certains le considèrent comme un devoir religieux, d'autres estiment qu'il n'est pas une pratique religieuse ni une prescription coranique, mais un symbole de discrimination sexuelle à l'encontre des femmes (lire ci-dessous). Dans un arrêt du 12 novembre 1997 concernant le recours d'une enseignante genevoise qui revendiquait de pouvoir porter le voile à l'école, le Tribunal fédéral a estimé que cette pratique contrevenait au respect de l'égalité entre les sexes. On peut lire ceci dans les considérants du TF, qui avait débouté la recourante après l'examen de sa situation particulière et après avoir minutieusement pesé le poids d'autres normes comme celles de la liberté confessionnelle et de la paix religieuse: «Par ailleurs, force est de constater que le port du foulard est difficilement conciliable avec le principe de l'égalité de traitement des sexes […]. Or, il s'agit là d'une valeur fondamentale de notre société, consacrée par une disposition constitutionnelle expresse (art. 4 al. 2 Cst.), qui doit être prise en compte par l'école.» (ATF 123 Ia 296)
Même si l'argument de l'incompatibilité du port du foulard avec le principe de l'égalité hommes-femmes l'embarrasse visiblement, Migros a décidé de ne pas en tenir compte. «Pour nous, le foulard est un symbole religieux», disent en chœur Monika Weibel et Urs Stolz. «L'arrêté du Tribunal fédéral s'applique à l'école, qui a une mission d'éducation et doit éclairer les élèves sur certaines pratiques, précise ce dernier. Dans le cas d'une entreprise, c'est différent. Nous devons respecter l'autonomie de nos employées.»
Présidente de l'Association culturelle des femmes musulmanes, Nadia Karmous se réjouit de la décision prise par Migros. «C'est une décision intelligente et porteuse d'avenir. Un beau geste d'intégration. Les femmes musulmanes font partie de la société et le port du voile relève aussi d'un choix délibéré, contrairement à ce qu'on croit parfois.»