Charivari
S’occuper de soi, c’est bien. Mais s’occuper de soi contre les autres, c’est l’horreur. Une horreur encouragée, semble-t-il…

«Arrêtez de vous saboter, vous êtes exceptionnel.» «Ne plus se gâcher la vie.» «Et si je m'aimais enfin!» «Savoir s'affirmer en toutes circonstances». «Heureux si je veux.» Etc., etc. Jeudi dernier, dans une librairie du centre de Lausanne, j'ai eu un moment de vertige. Au rayon sciences humaines/développement personnel, je me suis retrouvée face à des dizaines d'ouvrages travaillant à la restauration de l'ego, pour ne pas dire à sa célébration. Moi, moi, moi. Parce que je le vaux bien.
Je l'ai déjà écrit ici: je suis convaincue qu'il faut se faire plaisir pour faire plaisir et qu'un individu frustré sera toujours un poison pour son entourage, voire pour l'humanité. Le slogan soixante huitard «jouir sans entrave» a d'ailleurs toute ma sympathie. Mais, dans ma vision, cette jouissance n'est pas un bastion. Elle se partage, elle se transmet, elle est collective, communicative.
A l'inverse, ces titres annoncent un «je» tellement peu généreux, tellement anxieux! Animé d'une telle revanche sur l'adversité, d'un tel combat pour soi contre le monde entier! Méchant coup de froid. J'exagère, j'espère. D'ailleurs, je ne les ai même pas feuilletés, ces manuels d'auto-revalorisation. Comme remède au vague-à-l'âme, je préfèrerai toujours un verre de vin et une bonne tranche de rire. Mais peut-être sont-elles tout à fait altruistes, ces recettes de mieux-être, peut-être fourmillent-elles de belles vibrations?
J'étais prête à le croire quand j'ai par hasard côtoyé deux prototypes féminins adeptes de ces techniques de soin de soi. Ces deux heures d'espionnage citadin ont été surréalistes. Se protéger. Etre à l'écoute de son enfant intérieur. Se connecter avec ses besoins. Se positionner. Ne jamais s'oublier. Ne jamais se sacrifier. Dire son refus. Marquer son territoire. Etc. A tour de rôle, ces femmes d'une quarantaine d'années, belles au demeurant, mais grises à force de soupirs, ont dressé la liste de leurs combats sans un sourire. Pas une once d'humour, ni d'autocritique. Pas un gramme de doute, ni de questionnement. L'ego à l'assaut. Tout le temps, sans cesse.
Quelle fatigue! Rien qu'en les écoutant, même distraitement, j'ai pris dix ans. Et j'étais bien heureuse qu'un comédien facétieux déboule dans le café et me raconte une de ses blagues préférées. J'ai ri, beaucoup – il imite si bien les accents romands! – et j'ai espéré secrètement qu'Acida et Amertuma, assises près de moi, profitent du bouffon un instant. Mais non, leur tour était trop épaisse, leur combat trop important. Le moi, cette prison.