Ce jeune homme n'aurait pas dû mourir. Jesse Gelsinger, 18 ans, habitant de l'Arizona, est décédé le 17 septembre dernier au cours d'une expérience controversée de thérapie génique (lire ci-dessous). Et son cas, le seul jusqu'à aujourd'hui, n'en finit pas de faire des remous outre-Atlantique, notamment à l'Université de Pennsylvanie où l'accident a eu lieu. Fin janvier, la FDA (Food and Drug Administration) américaine, constatant de «nombreux dysfonctionnements sérieux», a contraint l'établissement à arrêter tous les autres essais cliniques de thérapie génique en cours. La semaine dernière, les chercheurs ont organisé leur défense, répondant point par point aux accusations de la FDA. Ils reconnaissent en effet l'existence de «déviations mineures» dans le suivi du protocole d'expérience, mais affirment toutefois que celles-ci n'ont en aucun cas pu contribuer à la mort du patient.

Quelle que soit l'issue de cette polémique, le mal est fait et la méfiance s'est installée. Des enquêtes officielles ont bien entendu été ouvertes et les langues se sont déliées. Rétrospectivement, les enquêteurs ont dénombré 691 «incidents» survenus durant des thérapies géniques. Seuls 6% avaient été rapportés. Un manque de transparence qui ne peut que nuire à la réputation d'un traitement médical à peine sorti des laboratoires et dont les premiers résultats – spectaculaires – vraiment positifs pour l'être humain ne seront publiés que dans quelques semaines.

Depuis, l'ambiance soupçonneuse ne s'apaise pas. Le Washington Post, dans son édition du 11 février, révèle que des chercheurs du St. Jude Children's Research Hospital à Memphis et du Baylor Collège of Medecine à Houston auraient accidentellement exposé aux virus du sida (VIH) et de l'hépatite C (VHC) plus de vingt jeunes patients cancéreux soumis à une thérapie génique. Une fois de plus, un probable manquement au protocole lors de la fabrication du traitement a mis la puce à l'oreille des chercheurs. La qualité des produits a été vérifiée par un laboratoire extérieur. Deux tests ont détecté la présence de VIH et de VHC. Seulement, selon les scientifiques, il y a beaucoup de chances qu'il s'agisse de résultats «faux positifs». Le test en question est connu pour être «trop» sensible et ne pas donner toujours des résultats corrects. Les confirmations tardant à venir, une des scientifiques a néanmoins décidé d'alerter la FDA. Ce qui serait probablement passé inaperçu s'il n'y avait pas eu le décès de Jesse Gelsinger quelques mois auparavant.

A la lumière de ces événements, est-il légitime de se méfier des thérapies géniques? «Dans le cas de Jesse Gelsinger, les chercheurs ont surtout commis des erreurs inexplicables, estime Axel Kahn, professeur à l'Unité de recherches en physiologie et pathologie génétiques et moléculaires à l'INSERM (Institut national français de la santé et de la recherche médicale). Mais cet accident illustre aussi combien aux Etats-Unis on est prêt à prendre des risques pour le bien public. Les chercheurs d'outre-Atlantique sont plus audacieux que nous en général.» Ils avancent plus vite aussi puisque, aujourd'hui, neuf dixièmes de la recherche clinique sur les thérapies géniques se déroulent aux Etats-Unis.

Par ailleurs, Jesse Gelsinger est un cas unique. Les autres décès, souvent non déclarés, ne sont pas dus aux thérapies géniques. Ces dernières ne s'appliquent généralement qu'à des personnes atteintes de maladies très graves. Il arrive donc qu'elles en meurent en cours de traitement. Selon la loi, c'est alors au médecin de décider s'il est utile de déclarer immédiatement ce genre de décès qui ne sont pas des conséquences directes de l'expérience.

«Quand bien même la transparence est indispensable, elle doit s'accompagner d'une analyse rigoureuse des faits, affirme Didier Trono, professeur au département de génétique et de microbiologie à l'Université de Genève. Si l'on attribuait tous ces décès à la thérapie génique, sans discernement quant à leur cause véritable, le risque serait grand que cela paralyse ce domaine de recherche malgré tout très prometteur. Qu'en fin de compte, on ait l'image que les thérapies géniques sont dangereuses, un point c'est tout. D'une part, cela priverait de nombreux patients de ce qui est souvent leur seul espoir de guérison. D'autre part, l'industrie, qui joue un rôle actuellement indispensable dans le développement de ce genre de traitement, ne pourrait le tolérer.»

Et l'industrie, justement, n'aide pas à redorer le blason des thérapies géniques. Au contraire. «Aux Etats-Unis, l'immense majorité des expériences se réalisent dans un cadre privé, précise Axel Kahn. Des sociétés de biotechnologie jouent leur capitalisation en Bourse en annonçant le lancement d'essais cliniques. Et il arrive que la valeur de leurs actions soit multipliée par un facteur dix uniquement par ces effets d'annonce. Ces sociétés se gardent pourtant de rapporter les incidents qui auraient pu émailler leurs travaux. Ils n'y sont pas tenus, d'ailleurs.» Comble de l'ironie, l'étude qui a causé la mort de Jesse Gelsinger était réalisée dans un cadre essentiellement universitaire. Donc avec de l'argent public.