La ville
Berlin peut retourner se coucher. Pour le graphiste Mirko Borsche, c'est plutôt dans la capitale bavaroise qu'il fait bon vivre

Le restaurant le plus couru du coin? Mai Garten («Jardin de mai»), un boui-boui chinois qui semble tout droit sorti de l’époque Mao. Papier peint saumon délavé, carrelage beigeasse, mobilier genre snack-bar, fresque animalière accrochée au mur. Tellement moche que ça en devient cool. Surtout, les plats sont étonnamment bons. Le bœuf braisé est goûtu, les nouilles se déploient dans une sauce noire, profonde, les xioalongbao – sorte de cousins des dim sums – sont frais et juteux. Aux tables d’à côté, ça parle chinois, allemand, anglais ou encore espagnol. Il y a des businessmen et des étudiants, des costards-cravates et des joggings informes.
C’est cela, le Munich de Mirko Borsche: un melting-pot d’origines et d’habitudes, une promesse de bien-être et de bien vivre ensemble qui déploie tout son potentiel à Au, ancien quartier ouvrier devenu repaire de jeunes familles en quête d’espaces verts et de loyers modérés. Ici, sur la berge est de l’Isar, la rivière qui traverse la ville, les rues étroites sont bordées de petits immeubles résidentiels et ponctuées çà et là de charmants cafés avec terrasse. En cette chaude journée d’août, on est bien loin de l’ambiance bourgeoise qui hante le centre historique de la capitale bavaroise. «Le cœur de la ville est devenu beaucoup trop touristique et aseptisé. A l’opposé, les gens sont ici très chaleureux, il y a un sentiment d’appartenir à communauté, c’est une sorte de ville dans la ville», loue Mirko Borsche, qui vit et travaille à Au depuis une dizaine d’années.
Du graffiti au graphisme
Son nom ne vous dit sans doute rien. Normal. En tant que graphiste, Mirko Borsche, 47 ans, est censé travailler dans l’ombre de ses clients. Sauf que dans la mode, un univers fasciné par les images et leurs auteurs, le Bavarois a quelque chose d’une star. Fondée en 2007, son entreprise, Bureau Borsche, a élaboré les identités visuelles et les campagnes de marques aussi prestigieuses que Balenciaga, Givenchy, Nike ou encore Rimowa, fabricant de bagages haut de gamme. Mirko Borsche se distingue également dans le domaine de l’édition, puisqu’il signe depuis douze ans la direction artistique du très respecté Zeit Magazin, supplément de l’hebdomadaire d’information Die Zeit. Son style? Un surprenant mélange de rigueur graphique, de poésie de l’image et d’humour parfois grinçant, comme cette couverture montrant un Gérard Depardieu en sueur, couteau de boucher à la main.
Quand je suis revenu de Londres, je détestais Munich. C’était une ville très fermée sur elle-même où il n’y avait que des Allemands. Dieu merci ça a beaucoup changé
Ce goût pour la subversion, Mirko Borsche le cultive depuis son adolescence, lorsque ce fils de photographe arpentait Munich pour s’adonner à sa passion: le graffiti. Nous sommes alors au milieu des années 1980, et la capitale bavaroise porte encore des stigmates de la Deuxième Guerre mondiale. «Munich a été l’une des premières scènes du graffiti en Europe. A l’époque, il y avait encore beaucoup de lieux abandonnés et des murs gigantesques allant jusqu’à 200 mètres de long, ce qui attirait évidemment de très nombreux graffeurs.» Après la chute du mur de Berlin, en 1989, la police s’en mêle et le nom de Borsche atterrit bientôt sur la liste des moutons noirs de la bonbonne. «J’ai décidé de partir étudier le graphisme à Londres, histoire de me faire oublier», se souvient-il.
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A peine diplômé, le jeune homme apprend qu’il va être papa. Pour être auprès de sa nouvelle famille, il rentre au bercail. «Quand je suis revenu de Londres, je détestais Munich. C’était une ville très fermée sur elle-même où il n’y avait que des Allemands. Dieu merci ça a beaucoup chang, notamment grâce à l’ouverture de l’aéroport Franz-Josef Strauss, en 1992.» Le nouveau dynamisme de la ville s’explique aussi par le réaménagement des abords de l’Isar, devenus nouveaux terrains de jeu des citadins. «En fin de journée, à n’importe quel niveau de la ville, les bords du fleuve sont pris d’assaut. Moi-même, je m’y baigne quasiment tous les jours et j’y emmène mes enfants le week-end.»
«Mieux que Berlin»
Si cette douceur de vivre est palpable, Munich passe encore pour une ville ennuyeuse aux yeux des étrangers, qui lui préfèrent volontiers Berlin, réputée plus flamboyante, plus excentrique, plus insomniaque aussi. Un verdict que conteste fermement Mirko Borsche. «Berlin est une ville laide, les Berlinois sont très antipathiques, et d’un point de vue professionnel, il est impossible de s’y faire de l’argent. Il y a de grands et beaux appartements, mais ils sont souvent occupés par des expats américains, de riches étudiants venus faire la fête aux frais de leurs parents. Quant aux Allemands installés à Berlin, beaucoup viennent de la campagne. Leurs tatouages, leurs looks de hipsters et leur attitude d’influenceurs, tout cela est complètement surfait.» Et le Bavarois de rappeler ce que la musique contemporaine doit à sa ville. «Les premières discothèques viennent de Munich, le mot disco a pour ainsi dire été inventé ici. De grands noms de la musique électronique sont aussi originaires de cette ville: DJ Hell, les iconiques labels Gigolo Records ou Gomma.» Une subculture qui bat encore son plein au Blitz Club, «l’une des meilleures sonos du pays», assure le graphiste, qui lui préfère pourtant le Rote Sonne, une boîte «plus trash, moins policée».
Mais n’allez pas croire que Mirko Borsche passe sa vie à écumer les clubs. Loin de là. Pour avoir une chance de croiser ce père de trois enfants, on essaiera plutôt les bars confidentiels comme Tabacco, non loin du Jardin anglais, sorte de Central Park local, ou encore Schumann’s, respectable institution munichoise, «parfait pour emmener un rendez-vous galant». Au sud-ouest de la ville, dans le quartier bohème de Westend, on tentera un cocktail au bar du Schwarzer Dackel, ou alors une bière à même le bitume, en lieu et place d’un ancien parking. Quant aux repas, mieux vaut ne pas être végétarien. Les restaurants favoris de Mirko Borsche se nomment Chez Fritz («parfait steak tartare»), Königsquelle («le meilleur schnitzel de ma vie!»), ou encore le très traditionnel Wirtshaus Hohenwart, au sud de Au. «C’est l’un des rares endroits où la cuisine bavaroise n’a pas été pervertie par les touristes. Là-bas, on se sent vraiment à Munich.»
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