Murielle Bochud: «Le principal est que l’ensemble de la population ait accès à une information de qualité»
Interview
Alors que le déconfinement débute, comment bien sensibiliser la population à de nouvelles normes sanitaires et quels sont les enjeux de ce «revivre ensemble»? Murielle Bochud, médecin-cheffe du Département épidemiologie et systèmes de santé à Unisanté, professeure à l'UNIL, répond à nos questions

Le déconfinement débute, et avec lui, la nécessité de redoubler d'efforts pour ne pas occasionner de nouvelles contagions. Alors, comment bien éduquer la population à de nouvelles normes sanitaires dans l'espace public, et quels en sont les principaux enjeux? Murielle Bochud est médecin de santé publique, médecin-cheffe du département épidémiologie et systèmes de santé à Unisanté, professeure à la Faculté de biologie et de médecine à l’Unil. Elle répond aux questions du Temps.
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Le Temps: On sait que de la sortie de cette crise dépendra grandement la capacité de la population à intégrer de nouvelles normes: comment les change-t-on à l'échelle d'une société?
Murielle Bochud: On a mis quelques jours à intégrer la distance physique de 2 mètres, mais qu’en sera-t-il dans un mois? Il est très, très difficile de changer les comportements sur le long terme. Il s’agit d’un processus continu et, surtout, à répétition. Il faut prendre en compte et intégrer les connaissances scientifiques et les évolutions technologiques. Dans le contexte actuel, le traçage digital respectant la vie privée est un développement intéressant dont l’acceptabilité au niveau politique – et bien sûr de la population – devra être testée, car les conséquences légales, éthiques et sociétales sont importantes. Cela pourrait participer au changement des mentalités.
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A quels défis fait-on face en la matière?
Ils sont nombreux, mais le principal est de s’assurer que l’ensemble de la population, à travers toutes les tranches d’âge et y compris parmi les milieux défavorisés, a accès à une information de qualité. D’où l’importance de rendre financièrement accessibles les mesures barrières. La distanciation sociale va par ailleurs être complexe à mettre en œuvre dans les sociétés de plus en plus urbanisées et avec une forte densité populationnelle, notamment aux heures de pointe dans les transports publics.
Les drones sont-ils l'un des recours de santé publique auquel il nous faudra nous habituer?
Les drones représentent l’un des développements technologiques dont les applications en santé publique sont très prometteuses (distribution de médicaments en contexte de conflit ou d’épidémie de maladies transmissibles, évaluation de situations dangereuses pour la santé comme Fukushima ou lors d’inondations), dans la mesure où ils permettent d’évaluer une situation ou d’apporter un soutien logistique sans mettre en danger des personnes. Comme toute méthode de surveillance, leur utilisation doit s’accompagner d’une réglementation stricte afin de minimiser les abus.
On prenait soin de l'ignorer et il est désormais recommandé par les autorités: Le masque est-il le nouveau préservatif?
Il existe de nombreuses différences entre le masque et le préservatif, même si les deux représentent des gestes barrières permettant de se protéger - et de protéger les autres - contre des infections. Le préservatif concerne les infections sexuellement transmissibles alors que le masque protège des infections transmissibles par voie respiratoire, dont le potentiel de dissémination dans la population est beaucoup plus grand et plus rapide. Contrairement au préservatif, le port du masque n’est pas suffisant en soi et doit s’accompagner d’autres gestes barrières. Par ailleurs, le préservatif ne s’utilise pas, lui, dans un contexte de soins.
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En Suisse, l’OFSP ne recommande pas aux personnes saines de porter un masque dans l’espace public. La pandémie actuelle a mis en avant des difficultés d’approvisionnement en masques dans de nombreux pays, ainsi que l’importance d’une production locale. Les campagnes de prévention contre le VIH s’adressent à l’ensemble de la population en âge d’avoir des relations sexuelles, tandis que les recommandations pour le port du masque sont plus complexes, dépendent du type de masque et de l’occupation des personnes.
Quels sont les canaux d'éducation les plus efficaces selon vous?
Les panneaux dans la rue, les messages dans les médias (radio, TV, internet), dans les écoles, sur les lieux de travail, sur les lieux de loisirs et lors d’événements sportifs et culturels représentent un canal important et efficace parce que massif. L’enseignement durant la scolarité obligatoire, post-obligatoire et la formation continue en cours d’emploi est un canal d’éducation très important également. Pendant ces cours, il est important d’avoir des approches multiples qui impliquent des jeux de rôles, des exercices pratiques et des travaux en groupe. Mais quel que soit le canal de communication, c’est la répétition dans plusieurs cercles (individuel, familial, amical, professionnel) et à plusieurs niveaux (communal, régional et suprarégional) qui fera la différence.
Quel genre de cours d'éducation à l'hygiène peut-on imaginer pour les élèves?
Il est évident que, durant la phase de déconfinement, les classes devront mettre en place des mesures afin de permettre le respect même des mesures d’hygiène. Tant mieux: l’école a l’avantage de donner à l’ensemble des élèves, quel que soit leur niveau socioéconomique, des compétences solides. Ces cours pourraient contenir l’enseignement d’un lavage des mains efficace (soit plus long et assidu que ce que l’on pratiquait souvent jusqu’à maintenant), des gestes à avoir en cas de toux et d’éternuement, la façon dont une infection virale respiratoire se transmet, l’importance de respecter les mesures de confinement prises par les autorités le cas échéant, ainsi que la notion d’immunité collective, à l’échelle d’une population. Il sera en revanche possiblement plus difficile de parler de distanciation physique. Il faudra s’adapter au niveau des élèves.
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