Conversation
Aux Etats-Unis, le père biologique d'un bébé apprend qu'il est aussi génétiquement son oncle, et le frère d'un jumeau dont il ignorait l'existence. Il porte deux ADN en lui. C'est une chimère

Il n’aura échappé à personne que nous venons de fêter Halloween. Il a donc beaucoup été question de revenants sur les réseaux sociaux ce week-end. Une histoire pourtant s’est profilée comme le conte de la Toussaint par excellence: celle racontée par le journaliste scientifique Pierre Barthélémy dans son blog abrité par «Le Monde», et reprise du site Buzzfeed.
Elle a beaucoup été partagée sur Facebook. Il faut dire que l’histoire est fascinante. Elle rendra fous les généalogistes mais réjouira les spirites, les romantiques à la Théophile Gautier, les amoureux de la mythologie grecque, les amateurs de bizarre et les auteurs de polar. Elle prouve que les fantômes, du moins certains d’entre eux, sont bien vivants puisqu’ils peuvent mettre au monde des enfants.
Nous sommes aux États-Unis. Monsieur et Madame X désirent un second enfant mais peinent à le concevoir. Ils décident d’avoir recours à la fécondation in vitro. Moins d’une année plus tard, en juillet 2014, naît un petit garçon en parfaite santé. Une chose intrigue néanmoins: l’enfant est du groupe sanguin AB alors que ses parents sont tous deux du groupe A. Rapidement, on se compte que le problème vient du père.
On pense d’abord à une infidélité de la femme, puis à une erreur de manipulation de la clinique. Il n’en est rien. Les parents prennent alors rendez-vous avec Barry Starr, généticien à l’université de Stanford et coauteur d’un site baptisé «Comprendre la génétique». Le médecin préconise un test généalogique pour en savoir plus.
Et là surprise: Monsieur X n’est pas le père de l’enfant mais son oncle! Pour le couple, c’est à ne rien y comprendre, pour le généticien, c’est la confirmation de son intuition: un cas de chimérisme. Le mot est inspiré de cette créature de la mythologie grecque qui a une tête de lion, un corps de chèvre et une queue de serpent. Au XXIe siècle, le terme évoque un phénomène médical rare mais que le séquençage facilité du génome humain et la multiplication des fécondations in vitro rendront plus banal: une mutation génétique qui donne au porteur deux ADN distincts.
Voilà ce qui a dû se passer: dans le ventre de sa mère Monsieur X avait un faux jumeau, probablement porteur du fameux B de son rhésus sanguin. Ce second embryon n’a vécu que quelques semaines mais certaines de ses cellules ont été absorbées par l’organisme de celui qui allait devenir Monsieur X. Sans le savoir, il est une chimère.
En 2013, dans un article publié dans «Le Temps», Nic Ulmi racontait deux histoires similaires, mais concernant des femmes. L’une, Lydia Fairchild, avait été accusée en 2002 de fraude à l’assistance sociale dans l’Etat de Washington après qu’un test avait révélé hâtivement que ses enfants n’étaient pas les siens. En fait, détentrice d’un double génome, elle avait fusionné avec sa jumelle in utero. Même chose pour Karen Keegan qui s’est découverte chimère alors qu’elle se prêtait à un test de compatibilité en vue d’une greffe de reins.
Pour en revenir à Monsieur X. Il est bien le père biologique de l’enfant puisqu’il s’agit de ses spermatozoïdes mais il ne l’est pas complètement puisque c’est son frère qui a transmis au bébé l’essentiel de son patrimoine génétique. Le père est donc le papa mais aussi l’oncle, tandis que l’enfant a un papa vivant et un autre jamais né. C’est assez tordu mais cela a déjà servi de scénario à plusieurs épisodes de séries américaines, du «Docteur House» aux «Experts». On voit bien ce que les auteurs du XXIe siècle peuvent construire comme intrigues à partir de ce constat: être deux en un, porter la vie et la mort, être soi et un autre. Vertigineux.