Nathalie Pignard-Cheynel, le journalisme de demain
Médias
La nouvelle directrice de l’académie de Neuchâtel est tombée dans le web quand elle était ado. Son enseignement privilégie les nouveaux formats

Ses étudiants l’appellent NPC. Le diminutif raconte parfaitement la vivacité d’esprit et l’efficacité de la nouvelle directrice de l’Académie du journalisme et des médias (AJM), institut de l’Université de Neuchâtel dont un des masters forme, depuis 2008, une trentaine de journalistes par année. Professeure ordinaire en journalisme et information numérique, Nathalie Pignard-Cheynel est une passionnée du web qu’elle a découvert avant tout le monde, adolescente, grâce à son père, employé au CERN et bénéficiaire des premières connexions laborieuses du début des années 1990. «J’ai tout de suite été fascinée par cet outil aussi formidable qu’inquiétant. Voilà pourquoi toutes mes recherches académiques portent sur le meilleur parti à tirer du monde numérique.»
L’entretien démarre en trombe avec cette professionnelle qui n’a jamais quitté les bancs de l’école. Il y sera davantage question des fake news, des nouveaux formats et d’interactivité avec les lecteurs, dadas de Nathalie Pignard-Cheynel, que de ses deux garçons, de 10 et 14 ans, qui lui donnent «peu de fil à retordre» ou de ses alpagas, basés en Haute-Saône, qui, eux, lui donnent de «la laine très douce».
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Fine, l’œil éveillé, le geste énergique, Nathalie Pignard-Cheynel, 43 ans, croit dans l’avenir du journalisme malgré l’essoufflement du modèle économique traditionnel, celui d’une presse financée par la publicité. «La solution peut venir du membership», commence la spécialiste plusieurs fois primée au fil de son parcours universitaire en France et en Suisse. «The Guardian, notamment, le pratique depuis plusieurs années. A côté du système traditionnel d’abonnements où le lecteur paie pour un contenu précis, ce grand titre a développé un principe de membres prêts à verser au journal bien plus qu’un abonnement traditionnel pour préserver une presse de qualité. Les membres s’engagent véritablement en faveur du média, qui devient un peu leur propriété, comme est en train de l’imaginer Le Monde.»
Les besoins des publics
Ces titres ne courent-ils pas le risque de devoir rendre des comptes à leurs soutiens? «C’est toute la difficulté à laquelle on forme justement les nouvelles générations. D’un côté, le journaliste de demain doit sortir de sa tour d’ivoire et considérer les besoins des publics. De l’autre, il doit veiller à ne pas faire du journalisme à la carte, dicté uniquement par les desiderata de ses lecteurs.»
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Comment enseigner cet équilibre parfait aux 30 étudiants de l’AJM sélectionnés sur une soixantaine de postulants à ce master? «Déjà, on montre aux étudiants le poids du numérique, entre les médias et le public. On les rend attentifs au fait que les plateformes et leurs algorithmes trient les contenus et orientent le rapport à l’information. On leur explique aussi comment détecter des fake news, mais, en général, ils sont déjà très outillés à ce sujet.»
La force de l’image et du son
Ensuite, l’institut forme les futurs journalistes à de nouveaux formats. De la vidéo et des podcasts, bien sûr, mais aussi des infographies animées, de l’interactivité en direct avec les lecteurs, du web documentaire, des formats très courts type stories ou encore, plus vintage, mais intéressant, des diaporamas sonores, – ce dernier procédé consistant à mettre du son sur des photos. «Parfois, la photo est plus puissante que la vidéo, précise NPC. Je me souviens d’un diaporama sonore dans lequel un luthier racontait son métier, c’était très fort.» En matière d’infographie animée, la spécialiste cite une récente enquête sur l’explosion de Beyrouth du New York Times que le quotidien accompagne d’un «déroulement en vidéo et d’une reconstitution 3D de l’événement absolument remarquable».
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Le papier est-il totalement dépassé? «Non, car le journal amène une hiérarchie de l’information et un confort de lecture inégalables. En plus, il est encore, pour le moment, le socle financier de la presse, puisque le modèle économique pratiqué chez nous repose en grande partie sur le papier.» D’ailleurs, Nathalie Pignard-Cheynel ne donne pas un blanc-seing au numérique. «C’est étonnant que les contenus web soient essentiellement conçus pour l’ordinateur, sachant que les trois quarts des utilisateurs les lisent sur leur smartphone!» Là encore, la spécialiste cite un «sujet pensé pour le smartphone qui a fait un carton international». «The Tinder swindler», un long format publié par le tabloïd norvégien Verdens Gang qui relate les méfaits d’un arnaqueur séducteur et qui, moyennant des vidéos, photos et alternances typographiques, se consomme de fait comme une série tout en étant une enquête fouillée.
Le lecteur journaliste
Ce succès mondial a une autre particularité que la spécialiste étudie dans ses recherches. Pour faire tomber ce voyou au look de dandy, le tabloïd a bénéficié de la contribution d’une des victimes qui a raconté étape après étape comment elle s’était fait gruger et a surtout donné au média toutes ses photos, vidéos et ses messages privés! «De plus en plus, le citoyen lambda est un pourvoyeur d’infos, se réjouit la professeure. Le journaliste doit bien sûr enquêter et recouper ces données, mais je trouve très prometteur que le public puisse jouer le rôle de détonateur. C’est cette ouverture sans condescendance aux publics qui garantira le renouveau de la presse et que nous enseignons aux étudiants.»
Profil
1977 Naissance à Genève.
1995 Maturité artistique musique à Genève.
2004 Doctorat en Sciences de l’information et de la communication à Grenoble.
2005 Maîtresse de conférences et chercheuse à l'Université de Grenoble, puis de Lorraine, à Metz.
2020 Professeure ordinaire en journalisme et information numérique à Neuchâtel.