La nécrologie dans les médias, notre regard au fond de la tombe
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La publication par erreur d’une nécrologie de Bernard Tapie a rappelé aux lecteurs cette pratique curieuse, un peu cynique, un peu sentimentale, des hommages écrits à l’avance
La mésaventure, due à un problème technique selon le journal, a fait ricaner, comme toujours quand arrivent ces malheureuses inadvertances. Il y a quelques jours, Le Monde a publié la nécrologie de Bernard Tapie, avec des XXX et autres symboles à la place de dates précises. De telles maladresses, parfois dues à un simple et malencontreux clic, surviennent périodiquement.
Elles lèvent un secret de Polichinelle. Oui, les médias préparent des biographies ultimes à l’avance. On peut trouver la pratique cynique, mais elle répond surtout au souci de mieux marquer l’hommage lorsque le moment fatidique survient. Les nécrologies, c’est le grand jeu médiatique: lorsque le site du Temps, comme tous les autres, propose à ses lecteurs un papier de 20 000 signes alors que l’annonce du décès est tombée il y a dix minutes, personne n’est dupe. Le mort avait déjà été embaumé, vivant. Les nécros, c’est Edgar Poe sous pixels.
À NOS LECTEURS | A la suite d’une défaillance technique, des textes stockés dans notre système éditorial ont été publiés par erreur quelques minutes ce jeudi, dont une nécrologie consacrée à Bernard Tapie. Toutes nos excuses pour cet incident regrettable. https://t.co/l9Oq5BudW7
Il y a quelques années, il a été affirmé que le New York Times avait 1300 nécrologies prêtes, Le Monde, 300, tandis que Libération a récemment indiqué qu’il se contente d’une trentaine. Au Temps, faute de moyens, nous sommes encore plus modestes: moins de 10 petits cercueils en mots ont été ouverts, prêts à être refermés.
A la rédaction de votre journal, l’auteur de ces lignes s’est fait Charon à deux sous, chargé d’accompagner les morts, c’est-à-dire de prévoir des nécrologies. Tâche ingrate: en général, les journalistes aiment ce qui est vivant. Ils goûtent peu de plonger la plume dans le formol. Question de temps, d’abord: quelles que soient les rubriques (international, Suisse, culture, etc.), on a l’actualité qui frémit à chaque instant, on ne peut stopper la marche du monde pour enrouler quelques bandages sur d’hypothétiques momies.
Il y a bien sûr des exceptions. En septembre dernier, Jacques Chirac a été le défunt le plus choyé des médias francophones, chacun avait ses kilomètres de textes et d’images en boîte. Pour Johnny Hallyday, en décembre 2017, nous étions aussi prêts, mais de peu: écrit quelques jours auparavant, le texte a été finalisé le soir précédent, la nouvelle de son décès est tombée vers 4h du matin… Un rédacteur réveillé fort tôt a permis au Temps d’être dans le parfait timing du culte rock’n’roll.
Même sans grands moyens, nous allons essayer de peaufiner nos adieux à venir, en tentant d’arracher un peu de temps au temps qui fuit. Une liste existe, faite de manière parfaitement artisanale, c’est-à-dire selon l’ancienneté de personnalités fameuses dans divers secteurs. Nous prioriserons les figures nationales, ayant un partenariat qui nous permet de publier les articles de nos confrères du Monde ou de Libération pour les célébrités françaises ou mondiales.
Nos morts, nos vies
Mais nous aimons avoir notre regard sur nos disparus, les raconter avec nos mots et nos images. Le défunt fameux devient encore plus public qu’il ne l’était de son vivant. Il mute en jalons collectifs tout aussi bien qu’en écran de projection pour nous-même, de nos valeurs, de nos souvenirs.
Nous pestons contre les futurs décédés qui nous voleraient du temps de vie et de travail. Mais nous voulons les encenser avec nos essences, personnelles, parfois même un peu intimes. Les morts nous racontent.
Trois nécros écrites (dans l’urgence) par l’auteur de ces lignes: