Le New Look, un acte de reconstruction

Après la Seconde Guerre mondiale, il a fallu songer à tourner la page et à reconstruire

Avec sa première collection qui demandait 20 mètres de tissu pour une robe, présentée en 1947 en pleine période de rationnement, Christian Dior a fait scandale, avant d’être célébré mondialement

En juillet 2013, à l’occasion de la renaissance de la marque Schiaparelli, propriété de Diego Della Valle, Christian Lacroix avait présenté une collection «Hommage à Elsa». On y retrouvait notamment une robe inspirée d’une «tenue d’alerte» créée par Elsa Schiaparelli, avec des poches partout, afin que les femmes y glissent l’essentiel lorsqu’elles devaient descendre dans les abris.

«La première fois que j’ai ouvert les yeux sur le travail de Schiaparelli, c’est lorsque j’ai découvert dans un magazine des années 40 ses tenues d’alerte qu’elle faisait pendant la guerre avec des poches partout», confiait Christian Lacroix (lire LT du 20.07.2013). On peut douter de l’utilité de descendre dans les abris en portant une veste signée Schiaparelli, mais la couturière avait au moins eu le mérite de penser sa mode en fonction de l’époque. Les guerres ne bouleversent pas que les relations géopolitiques. Elles ont un impact radical sur la mode.

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, il fallait reconstruire le pays, relever l’industrie, le moral des populations et essayer de tourner la page très vite. Un homme a souhaité le faire à sa manière: la première collection de haute couture signée Christian Dior, présentée le 12 février 1947, était un manifeste pour l’opulence. Le couturier est venu très tard à la mode. Il avait 41 ans lorsqu’il a créé sa maison en 1946, avec l’appui financier de l’industriel Marcel Boussac. Avant de créer des vêtements, et d’en dessiner pour les magazines, il inventait des déguisements lorsqu’il était jeune pour ses frères, sœurs et amis, pendant les étés, aux Rhumbs, la maison familiale de Granville en Normandie où il a grandi. Ce détail n’est pas anodin. Le costume lui permettait de jouer un rôle. En se déguisant, ce grand timide pouvait se mettre dans la peau d’un autre.

Ceux qui ont pu observer la construction de l’une de ses robes auront compris qu’il s’agit d’une véritable architecture, avec des couches et des sous-couches, des zips cachés, une toile travaillée au fer qui garde la mémoire des formes pour transformer le corps de la femme, lui imposer une tenue, le redessiner. «Je suis d’un tempérament réactionnaire. […] Nous sortions à peine d’une époque démunie parcimonieuse, obsédée par les tickets et les points textiles. Mon rêve serait donc naturellement la forme d’une réaction contre cette pauvreté», écrivait Christian Dior.

A l’issue de son premier défilé présenté dans ses salons du 30, avenue Montaigne, Carmen Snow, la célèbre journaliste américaine du Harper’s Bazaar, a génialement baptisé sa collection «New Look». Le nom est resté. Cette femme avait immédiatement compris les enjeux en présence. A l’issue du défilé, elle écrivait: «Nous sortions de la guerre avec nos souliers compensés à bouts carrés, nos épaules carrées. Il y avait eu une mode au noir juste avant Dior. […] Ce que proposait Dior, philosophiquement, c’était de replacer la femme à sa place de femme. Dans l’Histoire du pays, on se trouvait à un tournant. […] Pour moi, le succès de Dior le 12 février 1947 s’explique ainsi. Epilogue: nous avions un Aigle dans la pièce.»

Pour réaliser la jupe Corolle du tailleur Bar de la photo ci-dessus, il fallait plus de 12 mètres de tissu. Et pour la robe Diorama, 26 mètres. Or il faut se replacer dans le contexte de l’époque. On n’était pas encore sorti des périodes de rationnement. En Angleterre, par exemple, on recevait 32 tickets par an pour se vêtir. Une robe utilitaire, fabriquée avec 3 mètres de tissu, valait 7 tickets. Pour une robe New Look de 26 mètres, le rationnement de deux ans y passait.

Cette opulence a logiquement fait scandale. Et ce sont les Américaines qui furent les plus virulentes. Pour elles, la collection de Dior était un manque de civisme. Pour lutter contre cette mode qu’elles jugeaient inadmissible, elles ont créé «l’organisation des femmes en guerre contre le style», le club «juste au-dessus du genou» ou encore «l’association anti-jupes longues». Dans des journaux de l’époque, on voit de jeunes femmes attaquer aux ciseaux les jupes trop longues des filles qui avaient succombé aux diktats de la mode parisienne.

Mais elles n’ont pu empêcher le New Look de s’imposer. Parce qu’après des années de privation, cette mode avait valeur de réparation. Les femmes avaient besoin d’un supplément de grâce.

Bibliographie

«Dior, la révolution du New Look», Laurence Benaïm, Ed. Rizzoli, 2015.

«Double Dior, les vies multiples de Christian Dior», Isabelle Rabineau, Ed. Denoël, 2012.

«Dior by Dior, The Autobiography of Christian Dior», V&A Publications, 2007.

Exposition

«Dior, la révolution du New Look», Musée Christian-Dior de Granville,Jusqu’au 1er novembre.

«Ce que proposait Dior, philosophiquement, c’était de replacer la femme à sa place de femme»