Nicole Castioni, la légèreté de l’âge
PORTRAIT
C’est une battante qui est passée du pavé parisien aux travées du parlement genevois. Elle publie «Balance ton âge», guide pratique (et drôle) à l’usage de femmes sublimes et sans date limite

Elle accueille ses 60 ans comme on pousse des volets un matin d’été pour voir le soleil: avec un large sourire. «C’est l’arrivée de la liberté», dit-elle. Elle est légère, insouciante et bavarde. Ça tombe bien pour qui veut en savoir plus sur Nicole Castioni, écrivaine, scénariste, juge assesseur au Tribunal criminel de Genève, ex-députée et ancienne prostituée. Elle se souvient qu’en 1998 la publication de son livre Le soleil au bout de la nuit (chez Albin Michel), histoire de ses années noires sur le pavé parisien, rue Saint-Denis, fit grincer des dents au Grand Conseil où elle siégeait depuis 1993. Un récit de voyage en désespérance et haute solitude. Sexe, drogue et mauvais rôle. Guerre du trottoir, coups de feu parfois et ces inconnus qui montaient, se donnaient un peu de plaisir contre de l’argent. C’était dans les années 80, elle avait à peine 20 ans. Elle s’en est sortie par la voie de la fuite. Avec pour seul bagage un chat. Le train de nuit Paris-Genève avec changement à Bellegarde. Aux HUG, elle fut soignée (elle souffrait d’une hépatite) puis a appris un métier: téléphoniste-réceptionniste. «Je suis très fière de cela, je m’en suis sortie seule, j’ai eu un métier», dit-elle.
Pourquoi (re)parler de tout cela? Parce que Nicole Castioni vient de publier un nouvel ouvrage, Balance ton âge, femmes sublimes sans date limite (Editions Favre), guide débridé «qui donne les recettes de l’antidote de la mémérisation». On y reviendra. Elle va bien aujourd’hui «parce que comme on rencontre le bon amant, j’ai trouvé la bonne psychothérapeute». Cela fait trente ans qu’elle pose sur un divan ses tourments. Elle a l’impression d’enfin avancer dans cette introspection. Elle fut, enfant, sexuellement abusée. Elle avait 5 ans. Ça a duré jusqu’à 10 ans. Enorme traumatisme qu’elle a trop longtemps enfoui. «En grandissant, je pensais que ma place était sur le trottoir», confie-t-elle. Elle se sent désormais prête à raconter cela, à parler de l’abuseur, une personne de l’entourage familial. Elle écrit un livre à ce sujet et travaille sur une série pour la RTS.
Psychologie et théologie
Nicole Castioni est née à Genève dans un milieu de la classe moyenne. Elle a fait le conservatoire de théâtre, a décroché un rôle dans Sauve qui peut (la vie) de Godard (1980) et Les hauts de Hurlevent mis en scène par Robert Hossein (1979). Puis ce fut la rue Saint-Denis sous le pseudo de Gilda. «Cinq ans d’abus, cinq ans de trottoir», résume-t-elle. A 25 ans, «hyper-seule à Genève», Nicole Castioni suit des cours du soir pour devenir secrétaire. Elle enchaîne avec des études de psychologie et de théologie (on l’a refusée en philo) tout en travaillant pour se loger et manger. Elle se marie, a une première fille en 1987, divorce vite «parce que c’était un mauvais casting», se remarie «avec un gentil monsieur, un architecte» à qui elle raconte son histoire. Il décède malheureusement d’un cancer à l’âge de 50 ans. Elle l’a accompagné dans la mort avec Exit et a publié aux Editions Favre, en 2006, Mourir dans la dignité.
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Une enfant, sa seconde fille, est née en 1993 de cette union. Elle souffre d’autisme mais est indépendante. «La photographie la passionne, elle expose son travail, elle a voyagé en Arizona, à New York, en Colombie», confie Nicole Castioni. Elle est élue au Conseil municipal de Plan-les-Ouates en 1990 puis députée (de 1993 à 2001). En 2012, parce qu’elle possède la double nationalité, elle est la candidate du Parti socialiste aux élections législatives pour représenter les Français de Suisse. Est battue. Le regrette parce qu’elle avait beaucoup à dire et à faire. «Je prends en exemple l’autisme de ma fille, la France laisse le choix entre la maison ou l’hôpital psychiatrique tandis que la Suisse propose des structures adaptées poussant à l’autonomie», observe-t-elle.
Faire le ménage dans sa vie
Revenons à l’inclassable Balance ton âge, où l’on apprend que gamine elle était amoureuse de Patrick Juvet, «chanteur à minettes qui ne pouvait pas me faire de mal». Elle l’a rencontré dix ans plus tard mais c’est Jack Nicholson qui la prit dans ses bras aux Caves du Roy à Saint-Tropez. Le livre est fragmenté en cinq chapitres: «Câlinez», «Aimez», «Cocooningez», «Osez oser» et «Philosophez». Manuel pétillant d’un savoir-survivre au temps qui passe et qui lasse. Recommandation de Nicole Castioni: c’est le bon moment de faire le ménage dans la vie, de dépoussiérer et de mettre au rebut l’inutile, le fléau de la routine et les obligations stupides.
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Avant de mourir, elle veut entre autres (à cet âge on veut, on ne souhaite plus, écrit-elle): croire en Dieu (très difficile, précise-t-elle), se marier en blanc, déguster un Romanée-Conti Grand Cru au bord de la Saône, passer un mois avec ses petits-enfants à Bora-Bora dans les bungalows où l’on voit les poissons à travers un sol transparent, faire maigrir son chat Nougat, écrire-monter-jouer une pièce de théâtre, partir avant ceux qu’elle aime, manger un pélardon crémeux avec du thym et un filet d’huile d’olive couchée dans la garrigue, devenir copine avec Brigitte Macron, donner à bouffer à des pigeons idiots avec sa petite fille, etc. On le lui souhaite.
Profil
1958 Naissance à Genève.
1985 Quitte le trottoir parisien, devient téléphoniste à Genève.
1987 Naissance de sa première fille, Judith.
1993 Naissance de sa seconde fille, Lisa.
2018 A 60 ans, «la liberté».
Nos portraits: pendant quelques mois, les portraits du «Temps» sont consacrés aux personnalités qui seront distinguées lors de l’édition 2019 du Forum des 100. Rendez-vous le 9 mai 2019.