Sur mon iPad, c’est un ami Facebook qui m’a mis la puce à l’oreille, avec ce commentaire a priori obscur: «J’ai toujours dit qu’il fallait savoir l’attendrir avant de le cuire.» Ce, pour partager un article à scandale du New York Post, intitulé «Les personnes qui ont des rapports sexuels avec des chevaux sont en augmentation en Suisse». Ce papier est illustré par une tête équine, la mâchoire grande ouverte, pour signifier l’orgasme d’un animal qui est sans doute en train de bâiller.

Mais d’où ce bad buzz est-il venu, qui passe aussi par le Daily Mail et le Sun britanniques, des médias polonais, vietnamiens, tchèques, italiens, chinois…? Ce ne sont pas seulement des tabloïds prêts à s’emparer de n’importe quel matériel peu ragoûtant qui en font leurs gros titres. Ce virus médiatique consiste à faire croire que les citoyens suisses seraient de plus en plus zoophiles, et tournés principalement vers la gent hippique. Il y aurait eu chez nous 105 cas de maltraitance sexuelle envers elle. Les Helvètes seraient 10 000 en tout à avoir «une prédisposition» à ce type de sexualité déviante.

«Dégoûtant et tabou»

Tout cela est tout de même parti de Suisse. Le quotidien gratuit alémanique 20 Minuten indique le jeudi 26 novembre à 14h27 – en avertissant dès les premières lignes qu’il s’agit là d’un sujet «dégoûtant et tabou» – qu’un rapport de la fondation Tier im Recht (TIR), présenté en conférence de presse le jour même, prétend que le nombre de cas de cruauté envers les animaux «a plus que triplé durant la dernière décennie».

Cette année, la TIR a accordé une attention particulière aux chevaux, notamment sur les procédures légales qui règlent leur acquisition en Suisse. Un passage du rapport évoque également des cas avérés (et surtout non avérés ni punis) de zoophilie, tout en constatant de facto qu’il n’y a pratiquement pas eu de condamnation pour maltraitance envers ces animaux! On est donc dans l’ordre de la pure rumeur, plus ou moins bien intentionnée. Et dans la spéculation d’un lobby protecteur des animaux qui a peut-être de bonnes raisons de croire à ce qu’il dit, mais qui ne l’a de loin pas encore prouvé.

Car selon les chiffres de la TIR, il n’y a pas eu une seule plainte pénale en 2014! Elle précise qu’il y a eu trois dénonciations en 2010, une en 2011, deux en 2012 et quatre en 2013. Soit dix en cinq ans, dont une qui a été abandonnée. Mais l’apparente augmentation des sadiques serait due au fait que les cantons investissent davantage de moyens dans l’application de la loi.

«La pointe de l’iceberg»

De quoi relativiser l'«armée de pervers ciblant les chevaux et poneys avec leurs yeux de fouine» qu’évoque le Daily Star. D’ailleurs, sur tous les sites qui parlent de ce sujet, les chiffres sont mal compris, tronqués, surinterprétés, confondus avec d’autres, extrapolés sur des statistiques sans fondement scientifique ou simplement mal recopiés, voire amplifiés, à partir d’un autre site.

La TIR constate cependant qu’environ 150 000 personnes pratiquent un sport hippique en Suisse. Selon elle, il y a bien eu quelques condamnations, mais elles «ne sont que la pointe de l’iceberg», estime Andreas Rüttimann, juriste auprès de la fondation. A en croire ce dernier, «un grand nombre de chevaux sont victimes d’agressions», mais les actes zoophiles représenteraient 9,4% de tous les cas de maltraitance constatés sur des équidés. Le taux est cependant «relativement élevé par rapport aux autres espèces animales», note l’expert, qui précise au passage que des abus sont plus souvent commis sur des animaux de compagnie comme les chiens.

Au bout du compte, chaque média recopiant en partie un autre, il est difficile de retracer l’origine des erreurs qui s’accumulent comme lors d’un «téléphone arabe» et du bad buzz mondial qui en a résulté, faisant de la Suisse un peuple de pervers notoires. Mais le mal est fait, sans doute.