Sur le trottoir, on contourne une baignoire transformée en pot de fleurs. Mue par une envie de réglisse, on pousse la porte du ­Topinambour, la plus ancienne épicerie bio de Lausanne. Mazette. On se retrouve face à des piles de nourriture et de produits qui montent jusqu’au plafond. Cette caverne d’Ali Baba du sain pourrait embaumer le souk marocain. Sauf que pas tout à fait. L’essentiel s’y déguste avec les yeux, pas avec les mains ni avec les narines. Même ici, la plupart des produits ne sont pas vendus en vrac mais emballés – moins qu’en grande surface, certes, mais plus que sur le marché du coin. Pourquoi du thé dans des petites boîtes et du fromage sous plastique? Pourquoi des emballages, des déchets, donc de la pollution et du gaspillage?

«Il y a environ 15 ans, j’avais présenté des céréales et des légumineuses dans de gros sacs. Un peu comme on peut le voir en France, chez Biocoop. C’était très beau. Les sacs étaient ouverts, les clients pouvaient venir avec leurs récipients et puiser la quantité qu’ils désiraient», se souvient Martine Sancini, la gérante du Topinambour. «Mais j’ai dû y renoncer, suite à une visite du service d’hygiène. L’accès direct aux denrées a été interdit.»

Question d’hygiène

Du côté de l’administration vaudoise, on explique. Christian Richard, chimiste cantonal adjoint du Service de la consommation et des affaires vétérinaires du canton: «La vente en vrac n’est pas interdite. Elle est réglementée, notamment dans l’ordonnance sur l’hygiène. Suivant le type de denrées, des dispositifs de distribution adéquats doivent être mis en place pour éviter une altération des produits, par une contamination extérieure par exemple.» L’hygiène, mais aussi la conservation des aliments ou leur transport réclament des emballages. Certains produits se prêtent mieux que d’autres à la vente en gros. «Pour les céréales, par exemple, il n’y a pas de raison qu’elles ne soient pas distribuées en vrac, si le dispositif est hygiénique et qu’il permet de conserver à la denrée ses qualités intrinsèques», poursuit le chimiste.

En France, Biocoop vend ses céréales dans de grands cylindres transparents munis, sur le bas, d’un entonnoir. Le client place son sac ou son bocal sous cette embouchure, et se sert à sa guise. Dans d’autres magasins, pour plus de sécurité, c’est l’épicier lui-même qui remplit les récipients des clients. «Les solutions pour satisfaire aux règles d’hygiène sont nombreuses», confirme Josef Zisyadis, conseiller national et président du convinium vaudois de Slow Food.

La peur des bactéries

Il y a un autre frein, notent la gérante du Topinambour et le chimiste vaudois. Si, en Suisse, la vente en vrac est devenue rare, c’est aussi affaire de mentalité et de comportement. Martine Sancini: «Nous vendions de la féra enfumée non emballée, et la clientèle avait tendance à la refuser pour cause d’hygiène.» Christian Richard: «Certains préfèrent acheter un tube de dentifrice dans un carton pour éviter qu’il ne se perce.» «Les gens redoutent les bactéries, continue Martine Sancini. Du coup, on ensache tout. Emballer, c’est une perte pour l’humanité!».

Interrogés, Manor, Coop et Migros ne prévoient pas de développer massivement la vente en vrac, même dans les cantons qui adoptent, comme Vaud ce mois-ci, la taxe poubelle. Manor, semble-t-il, cherche le plus à s’apparenter aux marchés locaux et à proposer aux clients de se fournir en vrac. L’entrée en vigueur du sac-poubelle payant forcera-t-il un changement d’habitudes? Au Topinambour, l’épicière compte dessus .