Paf dans l’écran
Médias
«Les Recettes pompettes», «The Drunk Series»… A la télé, le nouveau concept, c’est de picoler

Vous pensez qu’en matière de télé, tout avait été inventé. Eh bien! pas tout à fait. Mercredi 13 avril se lançait donc son émission Les Recettes pompettes avec Stéphane Bern en invité vedette chargé d’essuyer les plâtres… et de faire la cuisine en levant son verre. Le principe, tout simple, est d’ailleurs chanté dans le générique: «Faire à manger et boire de l’alcool.»
Elle n’est pas la première à tenter le pari de la télé bourré. A l’origine, Les Recettes pompettes viennent du Canada, où l’animateur Eric Salvail et son invité préparent des plats en ingurgitant des shooters, petits verres de liqueur qui s’avalent cul sec. Au Québec depuis 2015, on a déjà ri de bon cœur devant les maladresses éthyliques du réalisateur Xavier Dolan ou de la chanteuse Cœur de pirate. En France, personne n’a visiblement pris le risque d’adapter le concept au réseau hexagonal. C’est donc sur YouTube que l’humoriste Monsieur Poulpe, poulain d’Antoine de Caunes, et Studio Bagel (propriété de Canal +) ont lancé le premier épisode de ces Recettes pompettes sur fond de polémique. Deux semaines avant le lancement, l’Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (ANPAA) réclamait déjà le retrait de l’émission. Et partant, assurait un buzz d’enfer à ces vidéos «bues sur le Web». «Pisse-vinaigre», rétorquait alors Stéphane Bern face aux critiques, l’animateur voyant là «une insupportable» censure à la liberté d’expression.
Karaoké et bisous
Pour les avoir vues mercredi, on a quand même envie de dire que les Recettes pompettes n’ont pas de quoi fouetter un chat. Comme l’avait assuré Stéphane Bern, l’ambiance dans la cuisine de l’ivresse reste dans le fond très bon enfant avec karaoké et jeu de devinettes. Alors oui, plus l’émission avance, plus l’œil se fait vitreux, les gestes perdent en précision au moment de servir l’œuf mollet princier et l’amitié désinhibée s’épanche en bisous. Mais de là à imaginer la chose prônant les comportements alcooliques…
En revanche, on pourra toujours questionner l’intérêt fondamental de ce type de programme. On aurait envie de répondre: aucun à part celui de promettre aux téléspectateurs de passer un bon moment aux dépens de ceux qu’ils regardent. Pour Gianni Haver, professeur de sociologie de l’image à l’Université de Lausanne, ce programme «fait partie de la logique même du dépassement de la télé-réalité. Au début, il s’agissait d’observer les comportements de jeunes gens enfermés dans une cage à souris. C’était à la fois du voyeurisme et une manière de briser la manière traditionnelle de faire de la télévision.» Et puis, tout casse, tout lasse. Le crêpage de chignon a fini par lasser les téléspectateurs. Après la télé-réalité où vous risquez votre vie (Koh-Lanta), celle où vous rencontrez l’âme sœur (Le Bachelor) ou celle uniquement motivée par la bagatelle (L’Ile de la tentation), on a ainsi eu droit aux derniers jours de Jade Goody, candidate anglaise de Big Brother, rongée par un cancer. L’opinion s’était d’abord braquée, avant de s’émouvoir de la situation tragique de cette maman de 27 ans qui avait trouvé dans l’exhibition de sa maladie le moyen de mettre financièrement à l’abri ses deux jeunes enfants.
Rire gêné
«Il faut sans cesse inventer de nouveaux formats. Le Web nous a habitués au storytelling du réel. Les vidéos de chutes ou de types filmés ivres morts tournent en boucle sur Facebook et YouTube.» Les Recettes pompettes s’enfilent donc dans cette brèche toute fraîche. «Là, on ajoute une dimension talk-show. Faire participer des célébrités est en cela intéressant. Il ajoute un élément de surprise. La vedette qui se cuite reste le must de la presse people», reprend Gianni Haver. En son temps, l’ivresse de Liz Taylor remplissait déjà les pages de magazines. «Dans notre culture occidentale, alcool et discussion vont de pair. Cela revient aussi à montrer deux copains qui refont le monde en buvant des verres.» La télé qui se saoule? On pense aussi à The Drunk, websérie des Américains de Ganglebot Films où les acteurs jouent sous l’emprise de la bibine. L’un des épisodes se déroule dans l’espace archiconfiné d’une ambulance. Au début, on rit. Et puis un peu moins en voyant les comédiens buter sur leurs répliques et répéter douze fois la même phrase en donnant l’impression d’avoir une patate coincée dans la bouche. «On a tous vécu une expérience de beuverie. Mais en tant que téléspectateur, cela peut devenir gênant de la voir ainsi érigée en spectacle dans une offre télévisuelle.»