Famille
Le psychologue Alain Braconnier publie un essai qui montre les bienfaits de verbaliser son attachement, y compris dans le sens enfant-parents

Quand on est parents, on devrait garder une réserve par rapport à nos enfants? On devrait taire ce qui nous anime profondément, à commencer par notre besoin d’être aimés d’eux? Tout faux, s’exclame Alain Braconnier dans Les parents aussi ont besoin d’amour, un ouvrage qui vient de paraître aux Editions Odile Jacob.
Ce psychologue et psychiatre français spécialisé dans les liens familiaux est formel. Du moment que l’enfant perçoit intuitivement nos mouvements intérieurs, autant les verbaliser. Et cultiver avec lui, dès que possible, les pratiques du sourire, du souvenir, du jeu, de l’humour et du partage pour le rendre plus aimable à notre endroit. Et la pudeur alors? Et le devoir de protection qui nous place en surplomb? «De vieilles marottes. En communiquant vos états d’âme et vos émotions, vous montrez la confiance que vous avez en votre enfant et vous l’aidez à développer sa singularité.» Car, rappelle le spécialiste, «être parent n’est pas un métier, c’est une rencontre».
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«Toute notre vie, on doit savoir dire à nos enfants: «Je vous aime.» Toute notre vie, on doit aussi oser demander qu’ils sachent nous le dire en retour.» Alain Braconnier, 78 ans, a près de cinquante ans de pratique clinique. Il en a vu des enfants et des adolescents angoissés ou simplement butés qui refusaient toute communication avec leurs parents. Il sait le poids des malentendus qui brouillent les pistes et encombrent les relations.
Retrouver le «cordon de résonance»
Son conseil? Revenir à l’essentiel, ce contact privilégié des premières années où le plaisir d’être ensemble était entier. Et retrouver le «cordon de résonance» qui, à l’image de deux diapasons vibrant à l’unisson, a permis au tout-petit de s’approprier le monde en se calquant sur les perceptions et connaissances de sa mère et de son père.
A ce moment, les parents ont veillé à faire exister leur enfant, non seulement en le nourrissant ou en le soignant, mais aussi en lui souriant et en lui racontant, sans cesse, ce qu’il vivait dans le moment présent. Ce cordon de résonance est si important que, dans certaines sociétés tribales, lorsqu’on veut punir un membre du groupe, «on ne le salue plus, on ne lui sourit plus, on ne le voit plus. Soit une «mort sociale», dite aussi «mort vaudoue», explique le psychologue.
«Est-ce que tu m’aimes toujours?»
Ce retour aux premiers instants, c’est ce que le praticien a vécu en direct dans son cabinet. Une maman arrive en consultation avec un ado plein de ressentiment. L’objet de la grogne? Après l’avoir véhiculé trois fois par semaine aux entraînements de handball et aux matchs, le week-end, cette mère a dû baisser la cadence en raison d’un remaniement professionnel. Elle est mortifiée, l’ado est mordant. Il parle d’abandon, de mauvais traitement. Au point que la mère à bout de forces s’exclame: «Mais est-ce que tu m’aimes toujours?» La réponse du teenager jaillit comme un cri du cœur: «Bien sûr que je t’aime, tu es ma maman chérie!» Pleurs de la mère et soulagement. «Lors des entretiens suivants, chacun a pu s’écouter, clarifier les sentiments et les attentes réciproques», rapporte le psychologue, fasciné par l’effet magique de la «déclaration d’amour».
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Mais pourquoi, au fond, la mère était-elle si désemparée face à son fils grognon? Parce qu’elle souffre de culpabilité et d’un manque de confiance en son éducation, deux maux très courants actuellement et très handicapants, regrette le spécialiste. «Arrêtez de vous excuser ou de vous justifier! A part de très rares exceptions, les parents sont tous suffisants au sens où l’a posé le pédiatre Donald Winnicott et la plupart sont très au-dessus.»
Le démon de la perfection
Le problème, c’est que les parents doutent beaucoup, envisagent leur rôle comme une mission et non comme une création, et visent la perfection. Dès lors, ils mettent une pression immense sur leurs enfants et les reproches pleuvent, alors que, c’est prouvé par l’étude du renforcement positif, seuls les encouragements et la valorisation des réussites permettent au jeune de progresser. «De la même manière, vos enfants ne veulent pas que vous soyez parfaits. Ils veulent juste que vous soyez heureux. Et si possible optimistes», encourage le spécialiste.
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Très bien. Mais, rétorqueront certains parents, on a fait tout juste: on a été confiants, structurants, contenants, encourageants, communicants, etc., et on a quand même des adolescents ou jeunes adultes qui ne nous témoignent ni amour, ni reconnaissance. Comment réagir dans ce cas?
Conseils pour se rapprocher
Même s’il n’aime pas les recettes toutes faites, car, dit-il, chaque relation parent-enfant est à inventer, Alain Braconnier donne tout de même quelques conseils pour retrouver un climat dans lequel «chacun peut dire son amour à l’autre».
Déjà, il ne faut pas craindre de confier ses états d’âme et ses émotions avec authenticité. Depuis petit, l’enfant sent toutes les tensions et préfère toujours connaître leurs origines plutôt que d'imaginer en être responsable. «Même si le sujet est difficile, comme le deuil, l’inconfort professionnel, les tensions conjugales, etc., les enfants peuvent comprendre les problèmes des adultes sans être traumatisés», assure l’auteur.
L’apprentissage du sourire
Ensuite, pour établir un dialogue plus profond qui pourra permettre à chacun de s’ouvrir à l’autre, le psychologue recommande un questionnaire type, partagé avec l’enfant. «Si je pouvais changer une chose dans la manière dont je te parle, qu’est-ce que ce serait?», «dis-moi trois choses que l’on a en commun et trois qui nous différencient», «comment se passerait un jour parfait pour toi?», «quelle est la chose pour laquelle tu m’es le plus reconnaissant dans ta vie?», ou encore, «si tu avais mon âge, qu’est-ce que tu ferais, qu’est-ce que tu aimerais?» figurent parmi les 15 questions imaginées – et présentes dans l’ouvrage – pour installer une empathie réciproque.
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Troisième conseil d’Alain Braconnier? L’exigence du sourire. «On apprend à son enfant à dire bonjour et au revoir, pourquoi ne pas lui demander aussi de sourire? Le sourire libère les hormones du bien-être, la sérotonine et l’endorphine. Il atténue même les angoisses. Pourquoi ne pas sourire à son enfant le matin au réveil et lui demander d’en faire autant?» questionne le spécialiste, avant d’ajouter: «Un visage souriant montre que l’on maîtrise la situation et rassure. Très efficace avant de commencer sa journée d’école et de travail.»
Souvenirs et humour, le bon cocktail
Comme autres liants parent-enfant, le psychologue suggère encore le recours aux souvenirs et à l’humour. Photos, anecdotes, amis d’hier, vacances d’avant-hier, rien de tel que ces bribes du passé pour ressusciter la charge d’amour des premières années. Quant à l’humour, il est essentiel pour «se protéger de l’angoisse ou de la colère et faire retomber les tensions». Mais attention, évitez l’ironie, souvent trop mordante. «L’ironie est un jeu d’esprit, l’humour, un jeu de cœur», disait l’écrivain Jules Renard.
Un ultime levier de rapprochement? Partager des moments ensemble. Quand l’enfant est petit, la proximité est physique, c’est le bal des chatouilles, des roulades, des jeux de cache-cache, etc. De 3 à 7 ans, arrivent les activités domestiques (cuisine/lessive/rangements) ou les dessins animés. Plus tard, les jeux de société, les voyages ou les quiz et autres karaokés prennent le relais. Mais le moment sacré, à tous les âges de la vie, c’est le repas en commun, grand fondateur du lien. «En plus d’échanger entre convives, le repas permet à l’enfant d’acquérir des savoirs concrets (origine, texture et goût des aliments), de développer sa dextérité et de favoriser son autonomie.» En cas de résistance, ne pas hésiter à inclure l’enfant aux préparatifs du dîner.
Et la pudeur alors?
A ce stade de rapprochement, sûr que le climat est mûr pour dire à son enfant qu’on l’aime et espérer qu’il en fasse de même. Encore faut-il dépasser une certaine pudeur… «Oui, et aussi la peur d’être déçu par la réponse!» s’amuse Alain Braconnier. Qui reconnaît que certains enfants préfèrent montrer leur amour plutôt que de le formuler. «Mais, dans la plupart des cas, vos enfants vous aiment, souhaitent vous aider et ont beaucoup de réponses à donner à vos souhaits d’être aimés d’eux. Oser le leur demander, c’est accepter d’être, par moments, un enfant pour soi-même.»