Très vite, dans le triangle formé par les communes de Lens, Hénin-Beaumont et Harnes, l'usine pétrochimique Noroxo, filiale de ExxonMobil, où travaillent 160 personnes, est montrée du doigt. Les autorités sanitaires la soupçonnent d'être à l'origine de l'épidémie. Les autorités préfectorales décident de fermer l'usine de Harnes, classée «Seveso II», entre le 3 et le 21 décembre. Les tours aéroréfrigérantes sont nettoyées de fond en comble. On y trouve des taux de 600 000 UFC (unités faisant colonie) par litre d'eau, alors que la norme est de 1000 UFC/ litre et qu'un seuil supérieur à 100 000 doit entraîner une fermeture immédiate. Et les bactéries qu'on y analyse sont bien les mêmes que celles qui ont été identifiées chez sept victimes, qui ont respiré les gouttelettes d'eau contaminée rejetées par l'usine.
Le mal est endigué, pense-t-on alors. Mais après une brève accalmie, la maladie revient, inquiétant d'autant plus les médecins qu'avec une incubation moyenne de dix jours, ces nouveaux cas de légionellose ont été attrapés pendant la fermeture de Noroxo. Ce qui intrigue les spécialistes, dont plusieurs sont arrivés pour le Nouvel An des Ministères de la santé et de l'environnement, c'est moins l'ampleur de l'épidémie, la plus importante que la France ait connue jusqu'alors, que sa durée.
Les pouvoirs publics alertés depuis quinze mois
Deux hypothèses, donc: soit la contamination a continué pendant le nettoyage de l'usine. Soit il existe une autre cause. L'usine est donc de nouveau fermée depuis le 2 janvier, alors qu'une vingtaine de personnes sont toujours hospitalisées et que les deux derniers cas ont été diagnostiqués le 4 janvier.
Vingt-deux maires du Pas-de-Calais, sachant que leurs administrés ne tarderont pas à leur demander des comptes, ont pris les devants en portant plainte contre X, de manière à avoir accès au dossier judiciaire. La veuve d'une personne décédée s'est également portée partie civile.
Un pavé dans la mare a été également jeté hier par le directeur général de l'Institut de veille sanitaire, Gilles Brücker. Il affirme, dans une interview au Monde, avoir alerté depuis quinze mois les pouvoirs publics sur le problème de santé que posent les tours aéroréfrigérantes de certaines usines, dont un rapport en date du 15 juillet 2003 affirmait qu'elles sont «insuffisamment entretenues, avec des problèmes de maintenance récurrents.»
Sur place, malgré l'assurance donnée aux populations que la maladie n'est pas contagieuse, c'est une double inquiétude qui grandit: celle de la maladie, bien sûr, mais aussi celle des conséquences économiques et sociales d'une telle situation. Dans une région sinistrée, parfois baptisée «silicose vallée», qui ne s'est pas remise de la fermeture de la mine, et où la crise économique fait place à une paupérisation grandissante de nombreuses couches de la population, la peur de la fermeture définitive de certaines usines, et donc du chômage, est aussi forte que celle de la légionellose.