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Mais où sont passées les clémentines d'antan?

Déclinée en nombreuses variétés et copiée par des hybrides, la clémentine méditerranéenne est produite d'octobre à juin. Sa production intensive permet une grande disponibilité, mais s'accompagne souvent d'une piètre qualité.

Que sont devenues nos clémentines d'antan, celles qui donnaient une saveur particulière aux hivers et coloraient cette période de l'année d'une nostalgie enfantine? Décembre, le mois des clémentines? De moins en moins vrai, en raison d'une multitude de variétés et d'hybrides, produits d'octobre à juin. Les adeptes du petit agrume, cette madeleine de Proust hivernale, sont déroutés par le choix pléthorique de variétés, aux qualités gustatives inégales et à la conservation parfois incertaine. Perturbés aussi par la saveur souvent frustrante des hybrides qui copient la clémentine et prolongent sa période de production.

Agrume de la famille des rutacées, la Citrus clementina doit son existence au croisement du mandarinier et du bigaradier (oranger amer). Le Révérend Père Clément, directeur des cultures d'un orphelinat et agronome éponyme, donne naissance au précieux fruit en 1902 à Misserghim, près d'Oran, en Algérie alors française. La clémentine possède une chair juteuse, acidulée et d'un goût très sucré, presque totalement exempte de pépins. Plus douce et plus colorée, elle supplante rapidement la mandarine. Principalement importée du bassin méditerranéen, on la trouve en Suisse en provenance d'Espagne notamment.

Mais l'agrume hivernal par excellence est victime de son succès. Pour améliorer la production de fruits adaptés aux exigences et aux contraintes du marché, les agronomes se sont depuis longtemps penchés sur le fruit savoureux. Les variétés ont été multipliées pour augmenter les calibres, et pour couvrir une plus longue période de production et donc de commercialisation. «Parmi les clémentines de type commun, il existe des variétés précoces et des variétés tardives, étalées d'octobre à mars. Mais la période qui offre la plus grande qualité de production est comprise entre mi-octobre et fin décembre. Elle correspond au développement du meilleur rapport entre le taux de sucre, l'acidité et le jus produit par les agrumes», explique Dominique Agostini, de la Station de recherches agronomiques de San Giuliano, en Corse. Elle dirige un centre spécialisé dans la gestion agronomique de la qualité des agrumes. «Les variétés précoces disposent par exemple d'une période d'ensoleillement plus courte. Elles ont donc un taux de sucre moins important et une acidité plus faible.»

Chocolatier et maître pâtissier à Cully, collaborateur du cuisinier Joël Robuchon, Kamel Guechida confirme ces différences de qualité parmi les variétés. «La production trop intensive des clémentines diminue la qualité des agrumes. Dans mon travail, la règle d'or est en tout cas de respecter les saisons. Pour les clémentines, les seules valables sont disponibles entre décembre et début février.»

Face au succès commercial que connaît la clémentine, des hybrides ont été créés pour profiter d'un marché très lucratif, en prolongeant la production jusqu'en juin. Ortanique, Jaffarine, Tangérine sont autant de concurrents plus ou moins proches. Plus grosse qu'une clémentine, la Clémenvilla espagnole a un succès certain. Avec une chair ferme et juteuse et un bon équilibre sucre-acide, cet hybride a presque tout, malgré un épluchage difficile. Tout, sauf le charme d'une vraie clémentine. L'imitation ne détrône pas l'originale. Dominique Agostini, l'agronome corse, en donne l'explication: «Les variétés espagnoles ont souvent joué sur l'appellation. La Clémenvilla n'est rien d'autre qu'une appellation commerciale. Il s'agit d'un hybride de clémentine et de tangelo (ndlr: mandarine pomelo). En jouant sur la ressemblance, la Clémenvilla cible le marché en plein essor de la clémentine.» Il existe de nombreuses déclinaisons de la clémentine de type commun. Les agrumes en provenance du Maroc (Caffin, Cadoux, Nour…) et d'Espagne (Hernandina, Marisol, Nules, Oroval…) notamment ont une bonne réputation. Mais certains n'offrent qu'une qualité médiocre. «De nombreuses variétés ne sont par exemple pas colorées naturellement. Elles passent par une phase de déverdissage durant laquelle on utilise de l'éthylène pour accélérer leur coloration», poursuit Dominique Agostini. Dans la course à la production, la clémentine de Corse affiche une stratégie différente. Protégée par une certification d'origine, elle se colore naturellement sur l'arbre. Elle est commercialisée avec ses feuilles, comme preuve de fraîcheur. Le terroir et le climat corses, associés à une sélection de variétés espagnoles et marocaines, lui confèrent un certain niveau de qualité et une authentique saveur de clémentine.