Pourtant, le territoire de la peine de mort régresse, année après année. C'est ainsi que le Chili vient d'y renoncer, comme 25 autres Etats depuis 1983. D'autres, et pas des moindres, ont décidé de pratiquer un moratoire. C'est le cas de la Turquie, de la Russie ou de l'Arménie. Sur 43 Etats membres du Conseil de l'Europe (Est et Ouest), 40 sont abolitionnistes.
A Strasbourg, siège de la Cour européenne des droits de l'homme, se presse depuis 24 heures tout un monde de journalistes, de chercheurs, de parlementaires, mais aussi d'avocats et d'anciens condamnés à mort. Ils représentent quelque vingt pays et sont non seulement prêts à brosser le tableau de la peine capitale dans le monde, mais à le faire entendre: ce vendredi, aura lieu la signature solennelle, par 18 présidents de parlement, d'un appel à tous les pays (dont les Etats-Unis) qui la pratiquent encore en faveur d'un moratoire. Une marche silencieuse traversera les rues de Strasbourg.
En constatant que des pays qui pratiquent la peine capitale sur une grande échelle n'ont pas même envoyé de délégués, les pessimistes ne verront dans ce grand happening qu'un vœu pieux, formulé par des Occidentaux: peu acceptable par des pays asiatiques ou islamiques, qui n'entendent pas se faire faire la leçon par les grands pays industrialisés. Les idéalistes, dont Michel Taube et Jean-François Daniel, fondateurs d'«Ensemble contre la peine de mort», pensent en revanche que cette première réunion (la prochaine aura lieu aux Etats-Unis, dans un an) peut dépasser son objet strict par la réflexion: «Le débat est loin d'être clos, même dans les pays qui ont aboli la peine de mort, déclare Michel Taube au quotidien Le Monde. Il renvoie à d'autres questions que se pose tout individu vivant en société: qu'est-ce que la justice? Qu'est-ce qu'une peine? Que faire des grands criminels?»
S'agissant des Etats-Unis, sans doute les premiers visés ici, le congrès peut profiter d'une fenêtre. Celle qui s'ouvre outre-Atlantique avec un débat lancé par la presse new-yorkaise et le signal d'alerte d'une poignée de diplomates américains, dont l'ancien ambassadeur en France, Felix Rohatyn. Comme si le doute faisait son chemin dans les esprits. Les conditions dans lesquelles l'exécution de Timothy McVeigh s'est déroulée – elle aurait dû être télévisée et accessible au public, elle ne l'a été que pour les parents des victimes de l'attentat d'Oklahoma perpétré par le condamné – ont troublé. «Tout le monde est déçu, relève Michel Taube: les voyeurs et les abolitionnistes, hostiles au huis clos. [Les responsables politiques] ont mis le doigt sur quelque chose et ils ont provoqué une onde de choc.»
Le plus frappant, dans cette réuion, c'est la modestie de ses origines. Si tant de monde se trouve rassemblé dans la capitale alsacienne, c'est dû à l'idée d'un homme, qui, avec ses amis, est allé frapper à la porte de plus crédibles que lui, comme il dit lui-même: Robert Badinter, à qui l'on doit, en tant que garde des Sceaux en 1981, l'abolition de la peine capitale en France; le président de l'Assemblée, Raymond Forni; la présidente du Parlement européen, Nicole Fontaine. Les troupes des grandes ONG ont suivi: on y trouve Amnesty International, Penal Reform International, le MRAP, l'Association des chrétiens contre la torture, France-Libertés, et tant d'autres. Bien sûr, «Ensemble contre la peine de mort» n'est pas le premier mouvement à s'agiter sur le sujet. Mais quelle poussée en un an!