Peut-on en finir avec le mythe de «la bombe de la plage», SVP?
Presse-citron
CHRONIQUE. Chaque semaine de l’été, notre chroniqueuse passe en revue le meilleur du pire de la presse féminine estivale. Aujourd’hui, les improbables conseils des rédactions pour se hisser au rang de «bombe de la plage»

De temps en temps je vais à la plage, chercher l’insouciance et une bière à 9%, les brins d’herbe entre les orteils, affalée sur un bout de tissu trop petit avec la grâce d’une loutre déshydratée. Malheureusement, j’ai appris cette semaine en lisant Elle que la société en attendait un peu plus de ma part, un article plein d’impératifs ayant mis fin à ma naïveté. Comment «être la bombe de la plage» s’interroge le site du magazine Elle? (NB: pas «une bombe» mais «LA bombe», sororité quand tu nous tiens.)
Eh bien figurez-vous que c’est un job à temps plein, dont le cahier des charges vaut son pesant de churros. Déjà, nous informe-t-on: la bombe «bombe le sourire. […] Même sans couleur, la bouche doit être appétissante, ce qui veut dire charnue, lisse, lumineuse.» Attention, on a dit «le sourire» hein, pas «les lèvres»: rien de plus chiant qu’une meuf en maillot qui, en plus de ne pas posséder le tour de taille d’une Polly Pocket, fait la gueule. Alors tant pis si vous étiez en train de lire La Disparition de Josef Mengele, faites un effort bordel: mettez du gloss et creusez les fossettes, c’est quand même pour ça que vous êtes là.
Ensuite, on nous apprend que toute «bombe» qui se respecte aime la poudre, même (surtout) à la plage. Notez bien (et tant pis si votre budget resto y passe, de toute façon vous n’aviez pas vraiment besoin de manger, n’est-ce pas?) qu’il ne faut pas une, ni deux, ni trois mais QUATRE ombres à paupières pour un regard «sunny», must-have de 2019 au bord de l’eau. Qu’il fasse 48 degrés à l’ombre de la buvette n’est pas une excuse. «C’est beau, délicat, allumeur, mais ça fait pas pétasse», nous indique élégamment la rédaction. (Vous avez bien lu. Pétasse, n. f., populaire et vieux: prostituée.) Vous pensiez pouvoir vous maquiller comme vous vouliez ou pas du tout sans vous faire insulter? Pour qui vous prenez-vous, enfin? Et ne venez pas geindre si on vous traite de salope: vous n’aviez qu’à lire les conseils de professionnels.
Rassurez-vous néanmoins, le rouge est autorisé. «Au diable les conventions! (ndlr: «lol») Pourquoi se faire la bouche rouge seulement l’hiver en ville, bien sapée? Sur peau hâlée, avec une petite robe légère d’après-plage, ce vrai rouge flamboyant embrase les lèvres de façon inattendue et fait carrément exploser le sex-appeal.» Voilà, voilà.
Enfin, si vous osiez espérer vous endormir au soleil et oublier un quart d’heure que tout le monde vous juge, sale feignasse, c’est le moment de prendre vos responsabilités: «Pas question de faire l’étoile de mer sur le sable, on surveille sa posture comme si on était traquée par les paparazzis». (Que cela ait mené certaines stars à la dépression voire au suicide ne devrait pas vous décourager.) «Allongée sur le dos, on plie les jambes au niveau des genoux pour lifter les cuisses; sur le côté, on serre les abdos pour garder un ventre bien ferme.» Vous vouliez respirer? Dommage. Il fallait y penser avant de reprendre du tiramisu. «Quand on marche vers l’eau, on pense à serrer les omoplates pour ouvrir les épaules et dégager la poitrine. Et on imagine qu’on est tirée par un fil vers le haut pour se grandir et allonger la nuque. Même si vous ne vous sentez pas super à l’aise dans votre maillot, au moins ça fera illusion.»
On se demande bien pourquoi les femmes ont tant de mal à se sentir «super à l’aise» dans leur maillot avec tout ce que les magazines féminins font pour les aider.