Eve en gamine blonde arborant une nudité ingénue, Nativité où l'on voit un adolescent noir assis sur les genoux d'une femme frêle, pietà qui représente un homme tenant une petite fille dans ses bras… Au premier regard, les images du photographe lausannois Olivier Christinat, qui viennent d'être publiées aux Editions Marval et qui sont présentées depuis samedi au Photoforum PasquArt de Bienne*, sont déroutantes. On ne voit que la nudité des personnages, et le contraste presque choquant qu'ils offrent avec leurs références bibliques. Mais Olivier Christinat, issu d'une famille protestante, a intitulé son livre Photographies apocryphes.

Dans la tradition chrétienne, l'apocryphe est un texte qui sent l'hérésie et dont la provenance cachée n'a pas permis son intégration dans le canon biblique. Dévoilant des aspects inattendus des textes en posant sur eux un regard nouveau, il permet à la fois de ne pas se figer dans des certitudes dangereuses.

Et c'est bien ainsi qu'a procédé Olivier Christinat. Il déconstruit les représentations traditionnelles de la foi pour nous emmener dans son royaume où le doute est roi. Précisons-le d'emblée: le doute du photographe est empreint de respect. Les nus pudiques de l'artiste expriment simplement l'interrogation de l'humain face à l'existence de Dieu. Dans le narcissisme de ces images où Olivier Christinat donne à Dieu son corps et son visage, il y a paradoxalement une humilité profonde. Celle de l'humain qui refuse d'apporter une réponse définitive à un mystère qui le dépasse, et qui ose suggérer que Dieu n'est peut-être qu'une sublime invention de l'homme.

– Vous avez intitulé votre livre Photographies apocryphes. Qu'avez-vous voulu montrer?

– L'«apocryphité» contient une notion de distance. C'est dans cette perspective que j'ai réalisé ces photographies: elles font place au doute, et non à l'inspiration divine. J'ai aussi voulu montrer les questions que l'homme se pose dans son rapport à Dieu, des questions trop grandes pour lui, et qui sont celles de la foi et de l'existence de Dieu.

– Vous vous inspirez pourtant de la Bible…

– Oui, mais mon travail se base surtout sur la culture judéo-chrétienne qui imprègne notre civilisation.

– Le protestantisme a une forte tradition iconoclaste. Vous avez pris des risques en cherchant à représenter Dieu, et en le faisant à votre ressemblance, alors que la Genèse nous dit que c'est Dieu qui a façonné l'homme et la femme à son image…

– Faire Dieu à ma ressemblance était pour moi fondamental. A mon avis, la question de la foi repose précisément sur la ressemblance entre Dieu et l'homme. Ainsi, je crois plutôt que c'est celui-ci qui a fait Dieu à son image. Quand j'étais petit, je rêvais d'être un messie. Je trouvais ça formidable d'être appelé par Dieu pour devenir un sauveur. Comme ce n'est pas arrivé, je me suis en quelque sorte consolé en donnant mon visage à Dieu.

– C'est une version des choses très narcissique, qui présente le risque de s'idolâtrer…

– Effectivement, mais pour moi, le meilleur moyen de contourner le danger du narcissisme, c'est de le regarder en face. On se rend alors compte qu'on ne trouve pas Dieu. Le narcissisme sent forcément le renfermé. Il est à l'origine de toutes les exclusions. Nous n'aimons pas ce qui ne nous ressemble pas. A mon avis, le fait d'assumer une fois pour toutes son narcissisme permet d'aller vers l'autre. D'ailleurs, je ne fais plus d'autoportraits depuis deux ans.

– Votre narcissisme relève-t-il alors du «Connais-toi toi-même»?

– Plus on est capable d'avancer dans la connaissance de soi, plus on fait de la place à l'autre. Cette démarche doit nous permettre d'accorder à chaque être humain la même valeur que nous nous donnons. L'attitude narcissique implique une tendance au mépris d'autrui, mais un narcissisme assumé permet de dire: «Je n'ai pas trouvé la vérité, je ne vais donc pas convertir l'autre à moi-même ou à autre chose.»

– Mais vous, comment vous situez-vous par rapport à Dieu?

– Je fais une place immense au doute. J'aimerais bien croire, mais je n'ai pas encore trouvé à Dieu une place que je ne lui retirerais pas le lendemain. Je n'arrive pas à me défaire de l'idée que Dieu est l'œuvre de l'homme. Mais que Dieu soit une pure invention humaine est un magnifique témoignage de ce que l'homme est capable de concevoir. C'est peut-être ça la vraie dimension religieuse: la capacité d'engendrer des questions auxquelles on ne peut répondre.

– Vous avez essentiellement travaillé sur le nu, et vos photos dégagent un certain érotisme. Est-ce là une voie vers le sacré?

– Le christianisme est une religion qui s'est inscrite en opposition à la sexualité. Mais il est intéressant de voir à quel point l'art chrétien s'est penché sur le nu, et comment il sublime le corps. Dans l'art chrétien, l'érotisme est très présent, mais il est essentiellement montré à travers la douleur. Au XXe siècle, la dimension sexuelle est devenue plus évidente, à tel point qu'il y a une fâcheuse tendance à érotiser le Christ à toutes les sauces. Mon travail ne va pas dans cette direction. Je n'ai pas cherché à provoquer.

– La photographie représentant les filles de Lot assises sur leur père est pourtant susceptible de choquer.

– Cela ne fait qu'illustrer le texte, qui parle d'un inceste. Cela ne va pas au-delà de ce que dit ce texte.

Olivier Christinat exposera ses photos au Photoforum PasquArt à Bienne, jusqu'au 7 mai. Me-ve 14 h-18 h, sa-di 11 h-18 h. Pour tout renseignement: (032) 322 55 86 ou 322 44 82.