Publicité

Pierre Rouvière, calculateur de nos coûts environnementaux

A moins de 30 ans, cet ingénieur en design industriel et consultant en écoconception a décidé de mettre ses connaissances scientifiques au service du bien commun en expliquant patiemment le coût environnemental de nos modes de consommation. Sans oublier de démasquer les beaux discours verts des marques

Pierre Rouvière: «Avec un comportement héroïque, on arrive à réduire notre empreinte de 45%, ce qui est déjà bien, et nécessaire, mais cela veut dire aussi qu’il faut penser à notre impact collectif.» — © Cha Gonzalez pour Le Temps
Pierre Rouvière: «Avec un comportement héroïque, on arrive à réduire notre empreinte de 45%, ce qui est déjà bien, et nécessaire, mais cela veut dire aussi qu’il faut penser à notre impact collectif.» — © Cha Gonzalez pour Le Temps

A peine 30 ans et beaucoup de cran: à l’avant-garde du récit de l’écologie et du réchauffement climatique, des journalistes et activistes ont su imposer des sujets, vulgariser les enjeux, ou créer de véritables médias. En cette semaine de COP27, Le Temps propose de découvrir cinq francophones sortis de la cacophonie.

Sur son compte Instagram, baptisé «@ecolo_mon_cul», Pierre Rouvière se montre volontiers mordant dès qu’il s’agit de déconstruire la propagande verte du monde marchand. En amateur d’humoristes politiques, il est persuadé que le sarcasme ou la démonstration par l’absurde est toujours plus efficace que l’agressivité. Dans ses mises en pages pleines d’animations ludiques, cet ingénieur de 28 ans informe surtout patiemment les consommateurs de l’impact de leurs gestes, même quand ils pensent bien faire.

C’est que l’humanité, dans sa course folle, a fini par engendrer des automnes qui ressemblent déjà à de nouveaux étés, tandis que le GIEC assure que ce n’est qu’un début. Alors le jeune scientifique monte au créneau pour aiguiser les consciences, rappeler que les vertus d’une voiture électrique restent discutables «quand il s’agit de rouler dans des tanks chargés de 800 kg de batterie», qu’un sac en plastique n’est pas pire qu’un sac en papier à usage unique (le mieux, ce sont les sacs réutilisables en polypropylène tissé), ou qu’aucune paire de baskets n’est «neutre», même si la pub le dit.

Une complexité immense

«On ne peut pas s’arrêter à ce qu’on voit. Il faut toujours creuser, et accepter le fait que la société que nous avons construite repose sur une complexité immense, et que tout le monde a besoin de monter en compétence pour avoir un esprit critique par rapport aux discours trompeurs», nous précise celui qui se présente sur Instagram comme un «greenwashing fighter»: un combattant du verdissement des marques.

Quand on le retrouve à la buvette de l’Académie du climat, nouveau lieu dédié à la mobilisation, en plein Paris, Pierre Rouvière se révèle surtout affable et pédagogue, toujours prêt à détailler le principe des cycles de vie et des transferts de pollution, la base de tout calcul d’impact carbone valable. Lui en a même fait son métier, puisque la vulgarisation écologique sur Instagram ne remplit pas le frigo, même si elle lui prend beaucoup de temps.

Consultant en écoconception, le vingtenaire aide donc les entreprises à analyser les cycles de vie de leurs produits, depuis l’extraction des matières premières jusqu’à la mise au rebut, tout en leur proposant des solutions moins nocives. Sachant, martèle-t-il, que «l’impact zéro n’existe pas». Dernier projet? Imaginer des lave-vaisselle réparables, avec des pannes facilement identifiables, pour lutter contre l’obsolescence délétère de la majorité des appareils «qui durent sept ans».

Ce jour-là, l’ingénieur arbore un pull déniché dans une friperie par sa copine, «qui adore chiner», parce que la mode est la dernière de ses préoccupations, et ne se souvient plus de la dernière fois qu’il a pris l’avion quand on lui pose la question. Il se remémore néanmoins du dernier grand périple qui l’a conduit à changer de priorité existentielle. Presque une crise de foi pour celui qui ne se destinait pas nécessairement à devenir ce héraut écolo. Fils de médecins élevé du côté de Narbonne, dans le sud de la France, il confesse même avoir longtemps été un «étudiant normal, qui ne se questionnait pas trop sur ces sujets-là».

C’est lors d’un échange académique de six mois à l’Université fédérale du Parana, au Brésil, que tout a basculé, en 2015. Pierre Rouvière étudie alors dans la ville de Curitiba quand, non loin de là, deux barrages de rétention de déchets miniers cèdent, déversant des milliers de mètres cubes de boues toxiques dans le fleuve Rio Doce, sur plus de 600 kilomètres. On surnommera cette catastrophe industrielle «le Tchernobyl brésilien».

Un choix sur l’avenir

«Des villages entiers ont été rayés de la carte, se souvient-il. Ce qui amène à se poser beaucoup de questions sur l’évaluation des risques par les nombreux ingénieurs qui travaillaient dans ces entreprises. A ce moment-là, j’ai dû faire un choix sur l’avenir: suivre une carrière individualiste, gagner de l’argent et acheter un appartement, ou me sentir utile dans une démarche un peu plus collective.»

.
 — © Cha Gonzalez pour Le Temps
. — © Cha Gonzalez pour Le Temps

A la mesure de la quête de sens qui saisit nombre de jeunes ingénieurs aujourd’hui, comme ce défroqué de l’ambition de la carrière scientifique l’observe un peu partout autour de lui: «Les ingénieurs représentent une grosse partie du problème parce qu’ils sont partout, de la conception des produits aux institutions du pouvoir, et pas mal de nouveaux diplômés font un burn-out précoce, avant de décider de bifurquer, en se disant qu’ils ne veulent pas contribuer à un modèle destructeur, préférant par exemple aller monter une ferme en agroécologie que signer dans une grande entreprise. Et la filière de l’écoconception est aussi un milieu relativement engagé.»

Au Brésil, Pierre Rouvière a aussi «découvert que le monde n’était pas fait que d’ingénieurs», se liant d’amitié avec des chercheurs dans le domaine des sciences sociales et politiques, aujourd’hui convaincu que le partage des compétences est aussi urgent que vital. Sur sa table de chevet trônent l’essai du mathématicien Olivier Rey, Une Question de taille, qui interroge la démesure contemporaine, mais aussi Les Besoins artificiels, du sociologue suisse Razmig Keucheyan et tous les derniers essais qui appellent au changement.

Danse sur un volcan

Dans sa famille, les repas de Noël sont d’ailleurs devenus végétariens, car tout le monde a renoncé à la viande. «Ce qui est drôle, c’est qu’on l’a fait en passant par des leviers différents. Moi pour des raisons environnementales, ma sœur, experte en pâtisseries végétales, parce qu’elle est sensible à la cause animale, et mes parents, médecins, à cause des risques liés à la santé mais aussi aux pandémies, en raison des conditions d’élevage actuelles.»

Pour aider tous ceux, toujours plus nombreux, qui ont bien compris que le monde danse au-dessus d’un volcan, l’influenceur aux 43 000 followers est également en train d’écrire un ouvrage sur les écogestes, dans lequel il rappellera quand même que c’est sympa de rouler à vélo et de trier ses déchets, mais que ça ne suffit pas: «Même en ayant un comportement héroïque, on arrive à réduire notre empreinte de 45%, ce qui est déjà bien, et nécessaire, mais cela veut dire aussi qu’il faut penser à notre impact collectif avec des décisions politiques, et au niveau des entreprises, pour définir un futur souhaitable.»

En attendant, il prêche sur Instagram. Avec humour puisque, tout le monde le sait, c’est la politesse du désespoir.


Profil

1994 Naissance à Narbonne, le 19 mai.

2016 Stage universitaire au Brésil.

2018 Première expérience dans l’écoconception.

2020 Création du compte Instagram «@Ecolo_mon_cul».

2023 Sortie du livre «Ecolo, mon cul! Quinze dilemmes du quotidien pour aller au-delà du bullshit écologique» (Ed. Eyrolles).


Retrouvez tous les portraits du «Temps».