«Beaucoup trop rarement!» Pierre-Alain Leuenberger la joue modeste quand on lui demande à quelle fréquence il pratique la randonnée. Pourtant, à constater l’allure du nouveau directeur général de la Banque Cantonale Neuchâteloise (BCN), il n’est pas un sportif de canapé. Avec ses chaussures de marche, ses lunettes de sport profilées, son bermuda et son t-shirt en matière synthétique, il a tout d’un marcheur aguerri.

Ce préjugé purement vestimentaire est rapidement confirmé dans la montée de la Combe Biosse. Au fond de cette entaille creusée entre deux barres rocheuses, Pierre-Alain Leuenberger absorbe avec sûreté les aspérités du petit sentier qui slalome entre les hêtres et les tapis d’ail des ours. La pente s’accentue, mais son rythme reste soutenu, régulier. Il peut parler sans être essoufflé. Et il sourit. «J’adore cet endroit. Quand j’habitais Courtelary, je venais souvent y faire du ski de randonnée.»

S’il a choisi cet itinéraire, à proximité du village du Pâquier – qui a vu grandir, skier et briller Didier Cuche, c’est parce que la balade chevauche les deux cantons dans lesquels il a vécu: Berne et Neuchâtel. Il aurait aussi pu choisir le Val-de-Travers et son célèbre Creux du Van, histoire de rappeler que son canton a des atouts à faire valoir.

Un ambassadeur officieux

Un ambassadeur, Pierre-Alain Leuenberger? «Cela ne fait pas partie du cahier des charges officiel de ma fonction. Mais dans les faits, c’est le cas. Je me dois de présenter Neuchâtel sous un beau jour.» Fiscalité, déficit public, hôpitaux… par les temps qui courent, il en convient, on oublie souvent de valoriser ce canton.

Ce n’est pas qu’il ait plus de problèmes qu’un autre, analyse-t-il. C’est qu’il sait mal se vendre. «Ce n’est pas dans la mentalité de ses habitants, imprégnée de cette culture protestante», qui préfère le labeur et l’humilité à l’orgueil et aux effets de manche. Il n’a pas peur de le dire. Lui aussi est protestant. Pas croyant, ni pratiquant, juste culturellement protestant. Il préfère montrer que son travail paie, plutôt que de le crier sur les toits avant de l’avoir commencé.

Son travail de directeur général de la BCN, il l’a démarré en 2016, à l’âge de 45 ans. Entré à la banque en 2005, il travaillait jusqu’alors dans la gestion des crédits et était directeur depuis 2008. Il avait auparavant été responsable dans une banque régionale et réviseur bancaire. Un parcours sans faute et une ascension rapide mais dont il ne se vante pas, donc.

Une personnalité qui ne divise pas

Si sa nomination a mis tout le monde d’accord, c’est aussi parce que sa personnalité, sans forcément rassembler, ne divise pas. Il n’écrase personne sur son passage et progresse avec logique. Sans brusquer. A tel point que certains le trouvent un peu trop propre à leur goût. «Il manque de personnalité. Il fait un peu jeune premier», nous avait glissé un entrepreneur neuchâtelois.

«Jeune premier? Si je suis lisse? interroge l’intéressé. Cela ne me vexe pas, cela me va. On me l’a déjà fait remarquer, on m’a même déjà conseillé d’être plus autoritaire mais ce n’est pas ma façon de faire. Et si j’en suis là, c’est sans doute parce qu’on considère que mon style fonctionne bien.» Ne pas trop dépasser, donc. Ecouter, puis orienter.

WhatsApp et Spotify

C’est ce qu’il fait en sortant de la Combe, en débouchant sur les prairies en dévers qui conduisent jusqu’au Chasseral. Quel itinéraire? Il nous demande notre avis, mais ne nous laisse pas vraiment le temps d’hésiter avant de décider. Nous n’irons pas jusqu’au sommet. Direction la crête. Avec la vue sur les trois lacs (Neuchâtel-Bienne-Morat) en arrière-fond, Pierre-Alain Leuenberger s’essaie à l’exercice du selfie. Bâton en main, il est un peu emprunté.

C’est qu’il est loin d’être un geek convaincu. Pas de compte Facebook, ni de compte Twitter. Et encore moins de compte Instagram. Il a quand même créé un profil LinkedIn «sur lequel je suis à peu près inactif». Il n’est pas réfractaire aux réseaux sociaux par principe, mais constate que ses amis y consacrent beaucoup de temps. Lui n’en a pas beaucoup et n’en a pas envie. En revanche, il est ouvert à l’utilisation «de toutes les applications vraiment utiles». Spontanément, il cite Spotify et «l’indispensable» WhatsApp pour, notamment, rester en contact avec ses amis d’enfance, qu’il revoit régulièrement.

Ce qu’ils pensent de sa carrière sans accroc? «Ils me chambrent.» Parce que directeur de banque en costard et cravate, ça lui va comme un gant. «Je n’étais pas le premier de classe, mais j’étais du côté des sages, c’est certain», rigole-t-il en buvant un Rivella (rouge), à la terrasse de la Métairie de l’Isle.

Radicalement pragmatique

Après la pause arrive rapidement la descente en pleine forêt. Un sentier particulièrement technique que Pierre-Alain Leuenberger n’a aucune difficulté à dévaler. Une petite glissade tout au plus. Comme nous. Il révèle alors que, oui, sous l’impulsion de son épouse, il pratique régulièrement la course à pied, le VTT et la randonnée. C’est aussi elle, une ancienne de la BCN reconvertie en instructrice de pilates, qui l’a poussé à participer à un trail de 30 km autour de Zermatt il y a quelques années. Trop long, on ne l’y reprendra plus.

Il est comme ça, Pierre-Alain Leuenberger. Il analyse, il jauge, puis il décide. Mais rien n’est jamais définitif. C’est un pragmatique qui n’a rien de radical, si ce n’est son goût prononcé pour le pragmatisme. Toutes ses opinions sont mûrement réfléchies. Prenez par exemple le port, toujours obligatoire, de la cravate et du costume à la BCN: «Se vêtir selon un code professionnel amène les collaborateurs à avoir toujours conscience qu’ils sont au travail. Pour nous, les banquiers, qui sommes en train de gérer l’argent des clients.»

Nous pourrions lui demander si les 318 employés de la BCN sont d’accord avec lui. Mais la fin de la randonnée approche. Les voitures sont en vue. L’heure de conclure. Et de constater que si le patron dissimule quelques aspérités, il faudra davantage que 2h46 de marche pour les déceler.


Profil

1971 Naissance à La Chaux-de-Fonds.

1996 Obtention du diplôme de spécialiste en économie bancaire.

2006 Déménagement de Courtelary (BE) à Saint-Blaise (NE).

2009 Naissance de son troisième et dernier enfant.

2005 Entrée à la BCN.

2017 Devient directeur général de la BCN.