Le plaisir féminin dans les starting-blocks
ÉROS ET CONTROVERSE
CHRONIQUE. Une étude du «Journal of Sexual Medicine» sur le temps moyen nécessaire aux femmes pour atteindre l’orgasme offre une occasion en or pour réfléchir aux rapports sexuels que nous jugions jusqu’à présent «réussis», affirme notre chroniqueuse Maïa Mazaurette

Parce que la sexualité fait partie de nos vies mais qu'elle reste pourtant taboue, «Le Temps» inaugure un nouveau rendez-vous: deux fois par mois, la chroniqueuse et journaliste Maïa Mazaurette donnera son point de vue sur un sujet d'actualité.
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Sortez vos chronomètres, avalez vos pilules bleues: selon une toute récente étude publiée dans le très sérieux Journal of Sexual Medicine, il faut 13 minutes et 24,6 secondes à une femme pour atteindre l’orgasme. Un chiffre d’une précision suspicieuse, n’est-ce pas?
L’étude a été menée sur 645 femmes, dans 20 pays (dont la Suisse ne fait pas partie…). Selon les données récoltées, les femmes françaises se placent nettement parmi les plus rapides, avec des orgasmes obtenus en 9 minutes et 18 secondes. C’est trois minutes de moins que pour une femme allemande, cinq de moins que pour une Anglaise, douze de moins que pour une Espagnole. Les championnes du monde sont les Tchèques, les Canadiennes (autour de sept minutes), les Pakistanaises et les Vietnamiennes (autour de huit minutes).
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Première réaction: cette information n’a aucun sens. On ne peut pas découper le corps des femmes selon des frontières géographiques. Deuxième réaction: certes – mais étant donné le manque d’informations quantifiées sur ce sujet, même les données scientifiques les plus déconcertantes ont l’avantage d’exister. D’où proviennent-elles?
Les femmes étudiées ont en moyenne 30 ans et vivent en couple hétérosexuel monogame. Elles ont chronométré elles-mêmes leurs rapports (vaginaux, classiques), en commençant au moment où elles se sont jugées «suffisamment excitées» et en s’arrêtant à l’orgasme. Ce cadrage appelle de nombreuses questions: parle-t-on de lubrification suffisante («suffisamment excitée» pour recevoir un pénis) ou des premières vagues de plaisir («suffisamment excitée» pour recevoir un orgasme)? Ce flou artistique peut expliquer les différences régionales. Si les Hongroises sont dernières du classement et les Tchèques premières, alors que Budapest se trouve à la même distance de Prague que Berne de Paris…, c’est peut-être tout bêtement une question sémantique. Qu’est-ce que l’excitation? Vous avez quatre heures, la correction des copies sera impitoyable.
Quoi qu’il en soit, la moyenne mondiale de 13 minutes et 24 secondes appelle logiquement un autre chiffre: celui de la durée statistique du rapport sexuel standard. Lequel est de 5 minutes 40 – soit trop peu, même pour une Française (et même pour une Tchèque). Tiendrions-nous là une explication concernant les 40% de femmes suisses ayant déjà simulé l’orgasme (selon les chiffres de la RTS en 2018)? Peut-être bien.
Reprenons pourtant courage: nos rapports sexuels dépassent de loin les simples va-et-vient de pénis dans des vagins. Encore heureux d’ailleurs, puisque toujours selon le Journal of Sexual Medicine, moins d’un tiers des répondantes avaient eu un orgasme via la seule pénétration (17% des femmes n’ont pas du tout eu d’orgasme pendant les huit semaines qu’a duré l’enquête). Ces statistiques recoupent parfaitement celles des dernières décennies: pour les deux tiers des femmes, l’orgasme s’atteint autrement – notamment (mais pas seulement) en stimulant le clitoris. Ainsi les chercheurs ont-ils pu observer que les femmes jouissent plus facilement lorsqu’elles se placent au-dessus de leur partenaire (position de l’Andromaque), grâce aux frottements du clitoris. On n’a pas besoin d’exclure la pénétration de ses habitudes pour augmenter son plaisir – seulement de lui adjoindre d’autres options.
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Il y a encore quelques années, les hommes hétérosexuels se demandaient combien de temps «tenir» pour donner un orgasme à une femme. Ces questions se posent différemment aujourd’hui: ce n’est pas en «tenant» qu’on arrive à ses fins, mais en «ouvrant». Son répertoire sexuel. Moins de pression pour lui, heureux présages pour elle.