Tabac
La situation était inédite et plutôt anxiogène. Quel fut l’impact des premiers mois de pandémie et de semi-confinement sur la consommation tabagique des Suisses? Une enquête menée sur 2000 personnes apporte des éléments de réponse

Qui dit crise dit stress, qui dit stress dit parfois: «Tu aurais une cigarette?» Une étude menée sur 2000 personnes par Unisanté et Addiction Suisse, en collaboration avec l’Association suisse pour la prévention du tabagisme, s’est penchée sur l’évolution de la consommation de tabac en Suisse ces derniers mois. Celle-ci révèle que 15,1% des fumeurs ont augmenté leur consommation pendant le semi-confinement de 2020, tandis que 8,2% l’ont diminuée. Les profils de ces deux groupes sont bien distincts et révélateurs des disparités sociales qui perdurent. Le point avec Karin Zürcher, responsable du pôle information d’Unisanté.
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Le Temps: Comment la pandémie a-t-elle influé sur la consommation de tabac?
Karin Zürcher: Comme toute crise, elle a amplifié des phénomènes qui lui préexistaient. L’étude montre d’une part que l’impact n’a pas été le même sur les fumeurs réguliers et les fumeurs occasionnels, et d’autre part que les facteurs sociaux et familiaux ont beaucoup pesé. En gros: ceux qui fumaient beaucoup ont fumé encore plus, notamment ceux qui étaient soumis à un stress économique. Ceux qui fumaient en socialisant en soirée par exemple, n’ayant quasiment plus de vie sociale, ont freiné leur consommation. Les jeunes adultes, les jeunes actifs et les femmes font partie de ceux qui ont connu l’augmentation la plus marquée. Sans surprise, les plus isolés socialement ou fragiles du point de vue psychique également. Près de 5% ont arrêté de fumer et 17% ont essayé d’arrêter, notamment par crainte d’une aggravation du covid – ce qui n’est pas négligeable…
Selon vous, quelle réponse devrait-on mettre en place une fois ces résultats publiés?
On pourrait croire que dans un contexte déjà si anxiogène avec la pandémie les campagnes de prévention antitabac seraient malvenues, mais c’est un mauvais calcul: il faut informer sur le lien entre tabagisme et covid aggravé puisqu’on a des données, soutenir les consommateurs et rappeler que l’arrêt est possible. L’offre existe: les consultations médicales, la ligne Stop-tabac, etc. C’est un enjeu majeur envers les jeunes notamment. Les mesures qui marchent sont connues: l’augmentation du prix des cigarettes et des substituts plus abordables.
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Quid des cigarettes électroniques, absentes de votre étude?
Globalement, les données pointent leur potentiel intérêt dans le cadre d’un arrêt du tabac. Le bémol étant toutefois que les fumeurs devraient totalement passer à la cigarette électronique pour obtenir un gain, or la plupart des fumeurs conservent une consommation duale. On notera aussi qu’elle n’est évidemment pas à encourager auprès des non-consommateurs, en particulier les jeunes.
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Quelles tendances se dessinent en Suisse?
En Suisse, on constate que le nombre de fumeurs ne diminue plus depuis une décennie. Il y a une stagnation autour de 25-27% de fumeurs au sein de la population. Le seul moyen d’action serait une politique de santé publique beaucoup plus ambitieuse. Aujourd’hui, les questions qui restent ouvertes sont: l’entrée de certains jeunes dans le tabagisme va-t-elle être différée compte tenu de la baisse de vie sociale actuelle? Ou bien au contraire, les jeunes vont-ils s’y mettre par pur désœuvrement? Il faudra un peu de temps pour obtenir des données significatives.