Marie L. était toujours en garde à vue, mercredi soir, de même que son compagnon, François S., dont on ne sait pas encore jusqu'à quel point il a participé ou non au montage de l'affabulation sur la fausse agression antisémite de la ligne D du RER parisien. La jeune femme, âgée de 23 ans, devrait être présentée à un juge d'instruction, qui pourrait la mettre en examen pour «dénonciation de délits imaginaires». Un délit lui-même passible de six mois de prison.

Au cours d'une perquisition menée le 14 juillet à Louvres, au domicile de François S., les policiers ont retrouvé toutes les pièces de cette piteuse histoire: la carte bleue prétendument volée, les ciseaux avec lesquels Marie L. s'est coupé une mèche de cheveux, le marqueur noir qui lui a permis de se dessiner des croix gammées sur le ventre, et un couteau de cuisine avec lequel elle s'est griffé le visage et le cou avant de lacérer son tee-shirt, son pantalon et la poussette de sa fillette de 13 mois.

La reconstitution des faits commence donc à se clarifier: vendredi 9 juillet vers 9 h, la jeune femme quitte son domicile et se rend en gare de Louvres, mais elle n'y prendra aucun train. Elle appelle son compagnon pour lui dire qu'elle a été agressée. Grâce à des analyses de ses coups de téléphone, les enquêteurs avaient acquis mardi la conviction que Marie L. n'avait pas emprunté la ligne D du RER.

Alors, pourquoi? Selon les enquêteurs, la jeune femme a avancé deux raisons. D'une part «la solitude», le besoin qu'on parle d'elle, trait de caractère assez fréquent chez les mythomanes. Mais elle a avancé une autre raison: elle devait, vendredi dernier, remettre une somme d'argent à un homme auquel elle devait acheter une voiture. Cet argent, elle ne l'avait pas. En inventant l'agression, elle inventait aussi le vol de sa carte bleue. Et c'est bien en pensant aux images télévisées des cimetières juifs profanés ces dernières semaines dans l'est de la France, a-t-elle confié, qu'elle a eu l'idée de se dessiner sur le ventre des croix gammées au marqueur noir.

Jeune fille «fragile»

La mère de la jeune femme, interrogée mercredi matin sur RTL, a parlé d'une jeune fille «fragile», qui a «déjà été vue par des psychiatres», ajoutant qu'«on ne peut pas soigner quelqu'un contre son gré». Elle souhaite donc que sa fille «soit entendue par un psychiatre et que justice soit faite».

Involontairement peut-être, la mère de Marie L. a aussi ouvert un autre débat, celui qui s'est élevé hier sur l'ampleur prise par cette agression qui n'en était pas une. «Je ne trouve pas normal, a déclaré la mère de la jeune femme [en évoquant notamment la réaction du président de la République] qu'elle mette la France dans cet état. Il y a eu des manifestations pour elle, je n'admets pas ce genre de choses.»

Depuis les aveux de la jeune femme, médias et politique se renvoient la responsabilité d'avoir trop vite fait monter la mayonnaise, même si le quotidien Libération a présenté ses excuses pour en avoir trop fait.

L'affaire n'aurait peut-être pas pris cette ampleur si le ministre de l'Intérieur, Dominique de Villepin, puis le président de la République Jacques Chirac, n'avaient pas réagi aussi fortement samedi soir, accréditant ainsi l'affaire alors que les enquêteurs en étaient encore aux balbutiements de leurs investigations. Question: l'ont-ils fait sciemment (tout en croyant l'agression réelle) pour qu'on ne parle pas de l'interview donnée le même jour au quotidien Le Monde par Nicolas Sarkozy? Cette hypothèse, énorme, n'était pas écartée mercredi soir par certains commentateurs.

Interrogé au cours de son interview télévisée du 14 juillet, le président Jacques Chirac a qualifié l'affaire de «regrettable» tout en affirmant que lui-même ne regrettait pas d'avoir manifesté son «effroi». Le président y voit plutôt «les séquelles d'un mauvais climat» qui règne en France et appelle à la «vigilance» et à la «mobilisation» en souhaitant que «le manipulateur» soit «sanctionné». La mère de Marie L. souhaiterait surtout qu'on la soigne.