Le patrimoine historique de la capitale de la République tchèque a été endommagé par les inondations, le Théâtre national envahi par les eaux. Alors qu'à Prague le danger semble s'éloigner, tous les regards se tournent désormais vers l'Elbe qui menace d'autres villes. Récit d'un voyage angoissé à travers une cité sinistrée
Il est 4 heures de l'après-midi à Prague, ce mercredi 14août. Le ciel est sombre mais il ne pleut plus depuis le milieu de la nuit. Après plus d'une semaine de pluies diluviennes à l'origine des plus grandes inondations en Europe centrale de mémoire d'homme, la clémence des cieux est une bénédiction. Le centre historique de la capitale tchèque vient de vivre les trente-six heures les plus longues de son histoire. La crue de la Vltava, qui a inondé plusieurs quartiers périphériques et le Petit Côté (Mala Strana), la pittoresque rive gauche au pied du château de Prague, a culminé une heure plus tôt. A Chuchle, au sud de la ville, où la Berounka se jette dans la rivière décrite par le compositeur tchèque Bedrich Smetana dans son poème symphonique Die Moldau (le nom allemand), les hydrologues ont enregistré une baisse de 2 centimètres du niveau des eaux. La cote atteinte est onze fois plus haute qu'en temps normal (7,89 mètres contre 70 centimètres) et le débit trente-trois fois supérieur (plus de 5000 mètres cubes par seconde contre 150 en cette saison).
Le comité de crise de la mairie de Prague peut pousser un soupir de soulagement. La bataille contre la Vltava déchaînée comme jamais n'est toutefois pas encore gagnée. L'eau boueuse qui charrie des monceaux de détritus arrachés des berges et des rues des villes et villages situés en amont n'a pas investi la Vieille-Ville ni Josefov, l'ancien ghetto juif, mais l'eau retenue par des barrières métalliques anti-inondations est à 1 m 50 au-dessus des quais. Dans les autres quartiers sis à proximité de la Vltava, la situation est beaucoup moins encourageante. Sur des dizaines de kilomètres carrés, l'eau s'est engouffrée dans les rues, les habitations, les usines et, surtout, a recouvert les nombreuses îles de cet affluent de l'Elbe dont ne dépasse souvent que la couronne des arbres.
Le cauchemar a commencé dans la nuit de lundi à mardi lorsque les sirènes et les appels à évacuation diffusés par haut-parleurs ont retenti dans plusieurs quartiers de Prague. A Karlin et Liben, deux quartiers populaires au nord, ainsi qu'à Mala Strana, les habitants ont été priés de préparer leur sac de survie vers 3 heures du matin. Ceux qui n'ont pu trouver refuge chez des proches épargnés par les inondations qui ravagent depuis dimanche le sud et l'ouest du pays ont été acheminés vers des écoles transformées en dortoirs. Le gouvernement de Vladimir Spidla, qui avait proclamé l'état d'urgence lundi soir, a permis les réquisitions nécessaires et l'utilisation de la force contre les récalcitrants. Un silence inhabituel et pesant s'est abattu sur les rues désertes, troublé seulement par les sirènes des pompiers et de la police.
Commence alors une longue attente. L'eau monte plus vite que prévu. Les hydrologues repoussent sans cesse l'heure de culmination de la crue et hésitent sur son ampleur. Attendue initialement mardi à 14 heures, elle n'interviendra que vingt-quatre heures plus tard. Les autorités et les Praguois commencent à espérer que les inondations ne seront pas si graves. Le comité de crise de la métropole décide de ne pas évacuer davantage d'habitants du centre-ville baigné par la capricieuse Vltava. Malgré la pluie qui ne cesse de tomber, les habitants de la ville et surtout les touristes se promènent sur les quais et les ponts pour observer l'évolution de la situation. Si les inondations ont déjà fait neuf victimes – une seule à Prague où un homme saoul a glissé dans la Vltava –, le zoo de la capitale a enregistré la perte de plusieurs animaux. Malgré l'évacuation des zones les plus menacées, un éléphant, un rhinocéros et un gorille se sont retrouvés prisonniers des eaux et ont été abattus pour leur épargner la mort par noyade.
A la tombée de la nuit, l'obscurité a chassé les badauds du cœur de Prague. Et la rivière a recommencé de plus belle à monter. Après une nouvelle nuit blanche pour des centaines de pompiers chargés de pomper l'eau s'infiltrant dans les caves ou remontant par les canalisations, la mairie a pris la décision d'évacuer par précaution les habitants de la Vieille-Ville, de Smichov et de Holesovice sur la rive gauche. Les sirènes et les appels à évacuation ont de nouveau retenti sur le petit matin. Les premières mauvaises nouvelles concernant le riche patrimoine historique tombent. Les sous-sols du Théâtre national construit à proximité de la Vltava se remplissent d'eau qui s'infiltre par les parois. Les pompiers organisent le pompage. Les décors et les coulisses ne devraient pas être endommagés mais les autorités s'inquiètent pour la stabilité de l'édifice. Le Rudolfinum qui abrite la Philharmonie tchèque se bat aussi contre l'eau dans les caves.
Même si la situation demeure tendue à Prague, le péril semble passé. Tous les regards se tournent désormais vers l'aval, au nord, où l'Elbe gonfle dans des proportions terrifiantes, menaçant nombre de villes et villages tchèques et allemands.