Le prénom de mon ennemi
Raison et boniments
Bachar est aujourd’hui comme Oussama, Saddam et Mouammar. Privé de patronyme, il semble plus petit, moins légitime, et déjà diminué
Faut-il punir Bachar? La question mériterait, dit-on, d’être posée aux élus français, quand bien même la Constitution n’oblige pas François à le faire. Barack, lui, interrogera son Congrès, dût-il passer pour mou. Espérons qu’il ne subisse pas le même sort que David, dont l’humiliation devant son parlement fut cuisante. Pour Angela, évidemment, il n’a jamais été question d’aller en Syrie. Quant à Vladimir, Hassan, et Jinping, ils continuent de soutenir moralement Bachar, dont les forces armées sont appuyées par l’autre Hassan (celui du Parti de Dieu). Mais tandis que l’Occident tergiverse, Bibi s’impatiente…
Dans les dessins animés japonais, il arrive que tous les personnages rapetissent d’un coup et se mettent à courir dans tous les sens de façon burlesque, levant les bras au ciel et transpirant à gouttes épaisses, signes de grand embarras ou de confusion des esprits. C’est à cela que ressemble la scène internationale lorsqu’on appelle les chefs d’Etats par leur prénom.
La question n’est pas de savoir si une telle caricature traduit plus précisément la réalité que les articles où tous les protagonistes s’appellent Monsieur. Il se trouve seulement que, lundi, à la radio, j’ai entendu un commentateur espérer tout haut que «Bachar» soit justement sanctionné pour ses crimes. Et, hier, ce journal (LT du 03.09.2013) publiait l’opinion d’un politologue qui s’interroge sur l’opportunité de «punir Bachar».
L’emploi du seul prénom de M. Assad n’est pas une nouveauté, et dure depuis avant même l’épouvantable guerre civile. A l’époque, c’était affectueux, et un rien condescendant, manière de rappeler que Bachar n’était qu’un fils de, héritier, rejeton, largement moins méritant, donc, que son père Hafez, le véritable «Lion de Syrie».
Mais à mesure que l’ophtalmologiste de Damas est devenu cette figure homicide qui fait massacrer des enfants entre la poire et le fromage, il rejoint le rang des Saddam et autre Oussama, Adolf ou Mouammar, les méchants de l’Histoire aux prénoms-épouvantails.
La communauté internationale, en effet, tend à oblitérer le patronyme de ses ennemis les plus distingués, et ce d’autant qu’entre eux, le torchon flambe. La guerre, paraît-il, s’engage d’abord par les mots, et l’ennemi semble moins terrible, pour ne pas dire déjà diminué, quand on l’appelle par son petit nom. On conviendra que «punir Bachar» (panpan-cucul), ce n’est pas tout à fait la même chose que «sortir ses porte-avions pour aller allumer des missiles sur la poudrière levantine de M. Assad, criminel contre l’humanité de son état».
Evidemment, certains méchants ont des prénoms moins commodes que d’autres, résistant presque par hasard à ce sabotage rhétorique. Personne, par exemple, n’appelle à neutraliser Jong-un, car qui sait que Kim n’est pas son prénom? Personne ne demande qu’enfin, Robert soit jugé pour ses méfaits, parce que le despote zimbabwéen porte le même prénom que 8,7% de la population mondiale (c’est une estimation personnelle). Et je ne parle même pas de Gurbanguly (Berdimuhamedow), le dentiste d’Achgabat, qui a vraiment tout pour se faire oublier.
On peut en rire. Reste que la manière de dire pèse, engage, et signifie. Faut-il punir Bachar? La question mériterait peut-être de se poser en d’autres termes.
L’ophtalmologiste de Damas rejoint le rang des Saddam et autre Oussama