Au XIXe siècle, l’émigration saisonnière des Savoyards était essentiellement liée aux contraintes climatiques de l’hiver. Sitôt les premiers frimas et les chutes de neige, les hommes, adultes mais aussi parfois à peine adolescents, gagnaient les villes pour subvenir aux besoins du foyer. Ils étaient embauchés comme simples ouvriers, cochers, colporteurs, chasseurs dans les beaux hôtels, domestiques, décrotteurs, ramoneurs. Ce dernier emploi était réservé aux enfants, seuls aptes à se couler dans le conduit étroit des cheminées. Ces petits ramoneurs quittaient leur village en octobre et étaient de retour en avril. Ils effectuaient leur périple à pied et en troupes, chargés en plus de transmettre des courriers avant la généralisation des postes. Ils étaient encadrés par un maître ramoneur qui percevait une partie de leur salaire et avait généralement la réputation d’exploiteur.
Les Parisiens blâmaient-ils le triste sort réservé à ces enfants? Non. La culture propre aux Savoyards faite d’une piété quasi mystique et d’un train de vie pour le moins humble ne trouvait pas grâce aux yeux d’une bourgeoisie éprise de mœurs libres et de faste.
Le labeur des petits ramoneurs était sale et risqué. Les garçons étaient souvent atteints de douleurs articulaires et de brûlures. Ils ramonaient 12 à 14 heures par jour, dormaient dans les sacs qui servaient à récolter la suie, à même le sol, sur le pas des portes, dans les granges ou les écuries.
Le ramonage demeurait leur principale activité mais ils devaient également se livrer à la mendicité, ou bien multipliaient les petits travaux comme marmitons, chansonniers, joueurs de vielle ou amuseurs publics. Certains se montraient avec des marmottes. Celles-ci étaient capturées, apprivoisées et dressées à donner un spectacle. Elles voyageaient avec les enfants, compagnes fidèles et source de revenus. Dans les villes, elles étaient exhibées sur les champs de foire au même titre que l’ours et le ouistiti. Le montreur de marmotte faisait danser le rongeur au son de la flûte. Avec leur bonnet et leur ceinture rouges, les petits ramoneurs étaient assimilés à des lutins qui ont inspiré certains grands écrivains. Dont Victor Hugo qui, dans Les Misérables, relate que Jean Valjean doit sa conversion au bien à un petit Savoyard rencontré sur un sentier avec «sa vielle au flanc et sa boîte à marmotte sur le dos».