Les rebelles intelligents, ces «millennials» qui fuient la vie de bureau
Mœurs
Donner ses plus belles années à l'université pour un diplôme qui ne garantira pas un emploi, puis trimer pour une entreprise qui sera celle qui empoche les dividendes, très peu pour eux. Le nouveau rêve des «millennials»: voyager plutôt que se caser

«Des rebelles intelligents». C’est ainsi que le blogueur et Web coach Olivier Roland, nomme les «millennials» (en gros, les moins de 35 ans) qui pensent que la vie a autre chose à offrir que «passe ton diplôme et fais du métro-boulot-dodo pendant quarante ans, avant de pouvoir enfin profiter de la vie, quand tes belles années seront derrière».
Son livre publié il y a un an, Tout le monde n’a pas eu la chance de rater ses études. Comment devenir libre, vivre à fond et réussir en dehors du système (Ed. Alisio), est un succès grâce au bouche-à-oreille. Bien des jeunes qui se morfondent sur les bancs de l’école, ou qui en sont partis précocement, y trouvent un baume apaisant.
Lire aussi: «Les «millennials» recherchent des expériences et de l’authenticité»
Olivier Roland, qui a lui-même largué l’école à 18 ans, monté sa boîte d’informatique à 19 ans, et qui, à 36 ans, ne travaille plus que six mois par an pour voyager le reste du temps, y martèle que l’échec est une aubaine puisqu’il incite à créer sa propre «aventure de vie». «Il y a une inadéquation de plus en plus forte entre le contenu enseigné dans les écoles et le marché réel, résume-t-il. Nous sommes dans une telle accélération des progrès technologiques que personne ne peut prédire si son métier existera encore dans dix ans. Et beaucoup de jeunes se posent la question de la pertinence des diplômes, ou du salariat. Il y a tellement d’aventures plus excitantes à vivre.»
Devenir autonome et arpenter le vaste monde
Lui recommande de devenir autonome par le biais de l’entrepreneuriat, mais souligne que la rébellion intelligente peut revêtir n’importe quel «projet d’aventure», loin de l’open space. Tout plaquer pour aller vivre à l’autre bout du monde en fait partie…
Chaque fois que je doute de mes choix, je pense à mon père qui a donné sa vie à une entreprise, avant d’en être viré comme un malpropre… Je préfère rester maître de mon destin
Il faut dire que de plus en plus de «millennials» issus de tous les milieux n’ont plus pour ambition que d’arpenter le vaste monde et de devenir backpackers (voyageurs en sac à dos) longue durée. C’est le cas de Basile, 27 ans, qui sillonne le globe depuis quatre ans, en compagnie de sa fiancée, Jade. Au gré de leurs pérégrinations, ils ont exercé tous les boulots: dans une entreprise d’import-export de langoustines en Australie, dans une auberge de jeunesse au Pérou, dans une école de français au Cambodge, sur des chantiers en Californie, avant de se passionner pour le woofing (travail dans une ferme biologique) en Nouvelle-Calédonie…
«La mère de Jade voulait qu’elle poursuive ses études de lettres, mais nous avons tellement souffert à l’école, à devoir rester assis derrière un bureau, que nous avions soif de paysages grandioses, explique Basile. Chaque fois que je doute de mes choix, je pense à mon père qui a donné sa vie à une entreprise, avant d’en être viré comme un malpropre… Je préfère rester maître de mon destin. J’ai besoin de faire quelque chose de mes mains, d'apprendre. Chaque fois, on nous fait confiance. Les gens se disent que si on a survécu sur les routes si longtemps, on est débrouillards.»
Je ne sais pas comment je vais organiser ma vie, mais plutôt que de m’enfermer, je préfère me chercher à l’autre bout du monde, en apprenant des autres
De son côté, Vanille, 23 ans, a débarqué seule au Canada fin novembre, après avoir postulé pour un visa de deux ans. Elle a vite trouvé un job dans un ski shop à Whistler, station réputée. Il y a deux ans, elle était encore dans une école de design: «C’étaient des études intéressantes, mais trop théoriques, j’étais malheureuse. J’ai tout plaqué. Du coup, mon père m’a coupé les vivres pour que j’apprenne l’autonomie. J’ai commencé à faire des saisons de ski, derrière le bar, avec ce rêve de vivre au Canada. Je ne sais pas comment je vais organiser ma vie, mais plutôt que de m’enfermer, je préfère me chercher à l’autre bout du monde, en apprenant des autres. Mon père est assez conservateur sur la manière de gérer sa vie, mais mon acharnement l’a épaté. Il commence à respecter mes choix.»
Lire également: Le logement selon les Millenials, juste un abri, plus un miroir
Voyager plutôt qu’acheter une maison
Ces vingtenaires issus de la classe moyenne aisée sont loin d’être les seuls à vouloir vivre l’instant présent. Et le cumul de miles… Selon un article du quotidien britannique The Independent publié en décembre, les «millennials» préfèrent désormais les trajets en long-courriers plutôt que l’investissement immobilier. Le voyagiste Contiki, qui s’adresse aux 18-35 ans, y annonce même une hausse de 10% de sa clientèle sur la seule année 2017. Analyse de Donna Jeavons, directrice du marketing: «L’urgence d’acheter une maison est devenue obsolète, et nous voyons beaucoup de «millennials» qui choisissent d’investir dans des expériences.»
Lire également: Les Millennials, ces bêtes de luxe
Il faut dire aussi que le prix de la pierre est devenu inaccessible pour beaucoup, tandis que la perspective de toucher une retraite décente durant ses vieux jours tient de plus en plus du mirage. Alors le calcul se fait vite: autant aller galérer ailleurs, en se dépaysant. Et flamber sa jeunesse…
Se chercher ailleurs
D’autant que le Web exhibe désormais mille vies alternatives: «Si l’on rompt avec le modèle parental, c’est qu’on n’y trouve plus aucun sens, poursuit Vanille. Il y a des milliards d’humains sur terre, et autant de paysages grandioses sur Instagram, qui donnent envie de les découvrir. Sur Facebook, on voit également plein d’amis revendiquer leurs longs séjours sabbatiques, et ça donne des fourmis dans les pieds.» La multiplication des sites proposant du couchsurfing (des hébergements gratuits chez l’habitant) et des jobs lointains contre gîte et couvert (tels Workaway, HelpX ou WWOOF) encourage aussi à faire le grand saut.
Et à force de se chercher ailleurs, on finit parfois par découvrir sa vocation. C’est en apprenant la permaculture en Nouvelle-Calédonie que Basile et Jade ont trouvé leur projet de vie: «acheter un bout de terrain quelque part et créer une ferme». Vanille, elle, chante à ses heures perdues ses compositions dans les bars d’altitude, et un producteur vient de lui proposer d’enregistrer un album à Buenos Aires. Elle ira peut-être… L’avenir étant toujours plus incertain pour tout le monde, ces «rebelles intelligents» ont décidé de faire du présent un grand terrain de jeu.