Samedi matin, la nuit a été longue, et en rentrant chez vous dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne, vous avez très faim? Bonne nouvelle! Vous trouverez dans Femme Actuelle 12 délicieuses recettes principalement à base d’air, à moins de 200 calories par repas.

Mmmh, l’air, comme c’est bon! Accompagné d’une «eau détox» aromatisée au céleri (à condition toutefois de ne pas manger la branche, qui représente 5 calories – les pièges sont partout en ce bas monde), l’air saura à coup sûr vous séduire, garantira une cuisine sans odeurs, et vous évitera bien des casse-têtes du type: ai-je droit à une vie sociale? Suis-je digne d’amour et de joie de vivre?

«Perdez du poids rapidement et sainement avec nos recettes délicieuses» s’enthousiasme la rédaction (n’ayons pas peur des mots et qualifions la salade d’endive sans huile de «décadente» tant qu’on y est). D’où nous vient cette formidable incitation à arrêter de nous nourrir? L’initiative s’inscrit dans le cadre du «régime 5/2». Vous ne connaissez pas? Tant mieux pour vous. Et maintenant, dites au revoir à cette douce naïveté qui vous permettait il y a encore deux minutes de vous réjouir d’un verre de rosé: entrons dans le vif du sujet.

Lire la chronique précédente: Pourquoi s'infliger la «routine sportive des stars» quand on n'est pas Beyoncé?

Le régime 5/2, également dit «du jeûne intermittent», consiste à «semi-jeûner» deux jours par semaine, soit «semi-manger», ou «semi-vivre». Deux jours par semaine, cela peut sembler peu de chose à Bar Refaeli et à ceux dont l’estomac n’est pas en train de s’autodigérer à 10h11 après avoir avalé un seul yaourt 0% de matière grasse sans sucre, mais «quand même un peu long» à tous les autres. Sans compter les: «Tu viens à l’apéro ce soir?» – «Non, désolée, ma poignée d’amandes m’attend.» Après tout, qui a besoin d’amis quand on peut avoir des carottes râpées?

«Caution scientifique»

Je vous vois venir gros comme un pot de crème double dans le frigo de Victoria Beckham, tenants du «oui mais parfois la santé exige que blablabla». Ok, ok: ce régime «mis au point par deux chercheurs britanniques au Genesis Breast Cancer Prevention Centre à Manchester» prend certainement tout son sens d’un point de vue médical quand les circonstances l’exigent – on notera d’ailleurs la présence en tout début de texte de cette «caution scientifique», introduction de choix à tous les régimes amaigrissants depuis que le mot «cellulite» existe.

Il n’en résulte pas moins que faire miroiter aux lectrices de Femme Actuelle la perte de 6 kilos sur l’été grâce à, en gros, une demi-bouchée de blanc de poulet et un œuf dur un jour sur deux est quand même «semi-désuet», voire «semi-dangereux».

Et juste quand on a dit ça, BAM! Ascenseur émotionnel. Tout en bas de l’article débarque, l’air de rien, la phrase suivante: «Dans la «vraie vie», après deux jours drastiques à moins de 500 kcal, on a tendance à se jeter sur la nourriture… et on multiplie les excès alimentaires dévastateurs pour la ligne! […] C’est la porte ouverte au retour des kilos chèrement perdus (et plus encore).» (Rire machiavélique.)

Pourquoi alors se réjouir de proposer des «recettes minceur à 200 calories» qui s’intégreront parfaitement à un régime jugé néfaste pour tout le monde? Plusieurs prismes analytiques s’offrent à nous, nous permettant ainsi de tenter d’appréhender la ligne éditoriale «semi-cohérente» du magazine:

  • «Femme Actuelle» estime que ses lectrices sont assises sur leur cerveau. Mal irrigué, celui-ci ne relèvera probablement pas le paradoxe
  • «Femme Actuelle» ne vit pas dans la «vraie vie» mais dans une matrice parallèle à découvrir dans le prochain film de Christopher Nolan
  • «Femme Actuelle» veut brouiller les pistes, vous plongeant sciemment dans un abîme de détresse psychologique afin que, démunie, vous vous abonniez pour huit ans et leur léguiez une partie de votre fortune
  • «Femme Actuelle» tente de se prémunir des chroniques rabat-joie qui ne manqueront pas de souligner de leur ton péremptoire que régimes = Satan et gnagnagna (pas de bol!).